Responsable du projet : Ion COPOERU, maître de conférences, Département de Philosophie, Université « Babes-Bolyai » de Cluj, membre de l’Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines (ARCHES)
Observateur de la part du réseau « EDPH » : Ciprian MIHALI, maître de conférences, Département de Philosophie, Université « Babes-Bolyai » de Cluj, vice-président de l’ARCHES, membre du comité de réseau EDPH.
1. PROBLÉMATIQUE ET JUSTIFICATION
- Prémisses philosophiques :
- Prémisses juridiques
- Prémisses sociales, politiques et historiques
- Justification – Trois régions du monde, trois figures des « sans-droit »
- Objectifs (théoriques et pratiques)
2. ASPECTS MÉTHODOLOGIQUES:
- Sources
- Méthodes d’analyse
- Ressources
- Ressources humaines
- Ressources matérielles
- Ressources financieres
- Bibliographie
1. PROBLÉMATIQUE ET JUSTIFICATION
Trois types de prémisses se trouvent au départ de ce projet :
1. Prémisses philosophiques :
- Le droit moderne est un systeme de normes positives contraignants et de sanctions étatiques censées garantir la liberté des individus. Il s’associe ainsi une prétention de légitimité, en offrant une garantie égale a l’autonomie de tous les sujets de droit. Cette légitimité se confronte avec la factualité de l’édiction de la norme et de la mise en ouvre du droit. Ce projet s’inscrit dans la ligne du questionnement de l’écart entre le droit (idéal) et sa réalisation.
- Les normes, ainsi que les outils nécessaires pour leur mise en ouvre, n’ont seulement une fonction normative, mais aussi une fonction descriptive, qui en dépende toutefois de la premiere. Cela fait qu’elles ont un pouvoir de représentation, de « création » de monde et de réalité. Pourtant, cette réalité en est entierement construite. C’est pour cela que, au moment ou les contraintes de légitimation affaiblissent ou sa positivité procédurale n’est guerre liée a un idéal supérieur, l’État de droit laisse ou meme produit des « zones grises ».
- Entre droit et réalisation du droit (entre droit et réalité) il y a un abîme qui la société en son entier se donne continuellement comme tâche de combler. C’est par le recours a la conjonction de ses forces vivantes (l’opinion publique, la société civile, les pouvoirs politiques, les chercheurs), en ralliant âme, décision, pensée et imagination que l’institution de l’État de droit renouvelle chaque fois sa mission. l’Etat de droit doit ainsi se doter/forger (d’)une nouvelle rationalité, qui interroge non seulement la cohésion des normes et leur rapport avec les faits, mais qui integre d’un coté les valeurs supérieures/idéales du doit et une réflexion sur l’agir communautaire en son ensemble.
2. Prémisses juridiques
- La force d’un ordre juridique dépend de sa capacité a négocier et a régler les confrontations avec les zones de « non-droit » qui surgissent a son intérieur meme.
- L’exportation du modele juridique ouest-européen dans tous les coins du monde a déclanché les hypotheses du sans-droit. Les réglementations trop modernes se sont heurtées contre le mur du traditionalisme et des mentalités insuffisament évoluées. Les institutions occidentales sont devenues des formes sans fond pour des économies qui ne les demandait encore et dans des sociétés rurales assez refractaires aux nouveautes.
- Plus tard, les pressions législatives communistes ont facilité l’apparition du sans-droit dans les pays de l’Europe Centrale et Orientale. Les anciennes traditions (plus ou moins) capitalistes n’ont pas su céder devant la pression collectiviste et spoliatoire. Des situations vraisemblables apparaissent aux années ’90, lors du proces de rétablissement de l’Etat de droit.
3. Prémisses sociales, politiques et historiques
- La création des Etats de droit est inscrite dans la tendance des sociétés modernes a faire place sur la scene de la vie politique a tous et a toutes. Pourtant la dimension émancipatrice et inclusive de l’Etat moderne (de droit) se retrouve engendrée par les pratiques juridico-politiques. C’est pour cela que les Etats de droit ont la tendance de ne pas prendre en considération une réalité qui leur échappe: ce qui se trouve en dehors des réglementations juridiques et des statistiques officielles ne doit pas exister et n’existe pas.
- Les figures du sans-droit rendent compte non seulement des limites de tout systeme juridique, mais aussi – et surtout – de la négociation difficile, meme conflictuelle entre le droit et les autres ordres qui reglent la vie des individus et des sociétés : ordre politique, ordre économique, ordre moral, ordre technoscientifique. Il y a, a travers ces figures, plus qu’une tension, plus qu’une confusion qui traverse les individus et leurs liens sociaux : il s’agit d’une mise en crise mutuelle de ces ordres, en sorte qu’on peut dire que dans les société a faible (ou rigide) ordre juridique, comme c’est le cas dans les pays concernés par le projet, cette faiblesse (ou rigidité) se répercute dans le politique, dans l’économique, dans l’affectivité des personnes.
- Ces figurent parlent alors des limites, des insuffisances de la loi ; il nous reste a étudier si ces limites sont des limites dues aux situations concretes, aux réalités historiques, ou bien si elles sont des limites de principe, inscrites dans l’origine meme, dans l’initial de la loi, de toute loi.
- On parle aujourd’hui de plus en plus de « changer de conception du droit » (Habermas) et cela est valable tant pour les États de droit qui fonctionnent avec succes depuis longtemps, que pour ceux qui sont en (re)construction. En effet, ils doivent affronter aujourd’hui les memes défis et risques : la mondialisation, la société informatique, la complexification des sociétés, la pluralisation des systemes des valeurs, le terrorisme. Les difficultés que les jeunes Etats de droit rencontrent sont-elles en effet contingentes et passageres ou bien les signes d’une défaillance plus profonde ?
4. Justification – Trois régions du monde, trois figures des « sans-droit »
Les trois régions concernées par la recherche (Europe Centrale et Orientale ; Afrique du Nord ; Amérique du Sud) présentent, malgré leurs différences géopolitiques et culturelles évidentes, un certain nombre de traits communs qui nous permettent une approche comparative :
- Etats de droits faibles, sur le fond d’une modernisation sociale, économique ou institutionnelle inachevée (mais aussi bloquée, détournée, simulée etc.) ; cet affaiblissement continue toujours, soit a cause des processus internes (corruption, insuffisante séparation des pouvoirs etc.) soit a cause des capacités réduites d’adaptations aux défis des processus mondiaux (migrations, globalisation, ouvertures des marchés économiques, dynamique planétaire dans l’espace scientifique, culturel, politique, etc.)
- Absence d’autonomie du systeme juridique, sur un fond de manque de volonté politique et de fragilité de la conscience publique, citoyenne ;
- Application rigide ou, parfois, méconnaissance des normes juridiques, ce qui mene a l’occultation des « zones grises » et des zones de « sans-droit » ;
- Incapacité a traiter théoriquement et pratiquement les situations-limite du droit ; quasi-absence d’une réflexion philosophique sur le droit et sur la pratique juridique.
Trois régions du monde (l’Europe Centrale et Orientale, L’Afrique du Nord, l’Amérique du Sud), seront prises en considération. Dans chacune d’elles les figures du sans-droit se déclinent d’une façon particuliere, mais autour de traits communs, relevant de l’incomplétude de l’Etat de droit, de son caractere d’etre « en construction », de ses faiblesses, ancrées parfois dans des situation historiques particulieres.
Trois figures du sans-droit se retrouvent sous des dimensions et noms différents dans les trois régions soumises a la recherche
- « le nomade » : des populations qui restent en dehors de l’Etat de droit, comme par exemple la population des Roms en Roumanie et dans d’autres pays de l’Europe Centrale et Orientale. Cette population ressemble a elle seule toute une série de problemes juridiques et philosophiques: l’absence des papiers d’identité, la ségrégation (scolaire et sociale), l’extreme pauvreté, des pratiques juridiques coutumieres, qui parfois entrent en conflit avec l’Etat de droit (mariage des filles a des âges tres jeunes), parfois en sont complémentaires (tribunaux tziganes) ;
- « la vie nue » : cette figure se laisse a son tour identifier selon plusieurs autres hypostases. Ainsi, le trafique de personnes constitue, dans chacun des pays représentés dans ce projet, plus qu’une affaire de l’économie noire ou des circuits mafieux. Il s’agit d’une véritable pierre d’achoppement non seulement pour les pays de provenance des trafiqués, mais aussi pour les pays de destination de ces personnes. Les femmes pour la prostitution, les enfants pour l’adoption et pour la prostitution, les hommes pour le travail, le commerce d’organes – autant de situations (mais combien d’autres encore…) qui constituent un défi majeur a tout systeme de droit national ou international, qui remettent en cause le droit le plus élémentaire, celui a la vie.
- « le néo-esclave » : nous désignons sous ce nom autant les émigrants/immigrants, forcés au travail brut pour éviter la pauvreté extreme dans leurs pays, que ceux qui, dans des économies instables travaillent soit dans le systeme étatique pour des salaires infimes, soit dans les entreprises privées, avec un salaire plus décent, mais dans des conditions rarement établi légalement. Il s’agit donc de plusieurs autres figures : étranger, esclave, surexploité, surqualifié – toujours en marge du droit, toujours pris dans une économie qui prend le pas sur le légal ou sur le politique.
5. Objectifs (théoriques et pratiques):
- inventorier les « zones grises », les « vides » dans la législation nationale et internationale qui produisent les situations de sans-droit ;
- analyser les facteurs et les contextes : comportements et attitudes des instances de pouvoir, de la société civile et des individus ou groupes sans-droit ;
- proposer une réflexion sur les mécanismes législatifs et sur les contextes sociaux, économiques et politiques qui produisent les situations de « sans-droit » ;
- rendre publics les résultats de ces recherches, créer une sensibilité civique aux situations de «sans-droit ».
- a long terme : identifier, proposer et élaborer des stratégies conduisant a la diminution et a la résorption des zones grises, au renforcement de l’effectivité de l’état de droit.
Dans le plan de la mise en réseau, nous avons en vue l’identification des partenaires francophones institutionnels et individuels dans les trois zones concernées par le projet (Europe Centrale et Orientale, Afrique du Nord, Amérique du Sud, avec un accent supplémentaire sur l’ECO), afin d’entamer un travail commun de longue haleine sur les questions décrites par ce projet.
2. ASPECTS MÉTHODOLOGIQUES:
A) Sources
La source principale d’information sera la jurisprudence et la doctrine en matiere dans chacun des pays concernés par ce projet. L’analyse des cas présentés en presse peut aussi fournir des données importantes pour la recherche. Les statistiques officielles, les base de données publiques, les actes normatifs émis par les autorités politiques situées a des différentes niveaux, doublées toujours par les rapports des ONGs et l’expérience de ceux qui travaillent « sur le terrain » (assistants sociaux, éducateurs, etc.) seront prises en compte.
B) Méthodes d’analyse:
Analyses comparatives des données, analyse de la législation, réflexions critiques (philosophiques). Le droit comparé (d’Europe et d’ailleurs), comprenant une juxtaposition aussi de la doctrine et de la jurisprudence, peut nous fournir des données pertinentes. Les outils juridiques du droit communautaire et du droit international des droits de l’homme peuvent aussi etre employés pour mieux mesurer l’écart existant entre une législation nationale et l’acquis communautaire (dans le cas d’Europe), de la législation internationale.
En mettant au point des stratégies théoriques et pratiques de mise a découverte des « zones grises » du droit a l’intérieur de l’État de droit, en forgeant des concepts philosophiques aptes a rendre compte de ceux-ci dans les cadres de la théorie du droit et de la démocratie et en élaborant des techniques juridiques appropriées, les recherches menées dans ce projet contribueront a l’élargissement de la théorie du droit.
RESSOURCES
Ressources humaines
Roumanie
- Ion COPOERU – maître de conférences, Département de Philosophie, Université « Babes-Bolyai » de Cluj, membre de l’Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines (ARCHES), responsable scientifique et administratif du projet;
- Paul VASILESCU – maître de conférences, doyen de la Faculté de Droit, Université « Babes-Bolyai » de Cluj
- Mircea BOCSAN – maître-assistant, Faculté de Droit, Université « Babes-Bolyai » de Cluj ;
- Emilian CIOC – doctorant, co-tutelle Université « Babes-Bolyai » de Cluj et Université de Nice, membre ARCHES ;
- Adrian TIGÃNUS – doctorant, co-tutelle, Université « Babes-Bolyai » de Cluj et Université de Paris I.
- Nicoleta SZABO – doctorante, Université « Babes-Bolyai » de Cluj.
Tunisie
- Rachida BOUBAKER-TRIKI – professeur, Faculté des Sciences Humaines, Université de Tunis, responsable du projet pour la Tunisie et pour l’Afrique du Nord ;
- Mhamed Ali HALOUANI – professeur, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université de Sfax.
- Doctorant(e), a identifier par la responsable tunisienne ;
Argentine
- Susana VILLAVICENCIO – maître de conférences, Faculté de Sciences Sociales, Université de Buenos Aires, responsable du projet pour l’Argentine et pour l’Amérique du Sud ;
- Nora WOLFZUN – chercheur, Faculté de Sciences Sociales, Université de Buenos Aires ;
- Graciela FERRAS – doctorante, Faculté de Sciences Sociales, Université de Buenos Aires, Université de Paris VIII.
Ressources matérielles
- Tous les chercheurs impliqués dans le projet disposent d’un acces libre et gratuit a l’équipement micro-informatique et aux ressources en ligne par internet ;
- Toutes les institutions concernées par le projet disposent de bureaux, salles de cours et de recherche ;
- L’université « Babes-Bolyai » de Cluj mettra a la disposition de l’équipe de recherche le Centre Européen des Rencontres Universitaires d’Arcalia, avec toute une infrastructure adaptée aux besoins des réunions scientifiques.
- Pour un meilleur déroulement du projet et pour éviter les labyrinthes bureaucratiques des universités, l’association ARCHES mettra a la disposition de l’équipe de recherche ses structures bancaires et ses spécialistes comptables.
Ressources financieres
La contribution de partenaires institutionnels impliqués dans le projet consistera surtout dans les services gratuits qui seront offerts aux chercheurs pour toute la durée du projet. Ils prendront en charge les frais courants (électricité, chauffage, acces internet, etc.).
Bibliographie :
Frédéric DESPORTES, Francis LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica, Paris, 2001
Raymond GASSIN, Criminologie, Dalloz, Paris, 1998
M. LEROY, Contentieux administrative, Bruylant, Bruxelles, 2000
Jean-Philippe LEVY, André CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, Paris, 2002
François TERRE, Dominique FENOUILLET, Droit civil. Les personnes. La famille. Les incapacités, Dalloz, Paris, 1996.
John RAWLS, Justice et démocratie, Éditions du Seuil, Paris.
John RAWLS, Le droit des gens, Esprit, Paris, 1997.
Otfried HÖFFE, Political Justice. Foundations of a Critical Philosophy of Law and the State, Polity Press, 1995.
Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie. Entre faits et normes, Gallimard, Paris.
Udo DI FABIO, Die Staatsrechtslehre und der Staat, Schöningh, Padeborn.
Carl SCHMITT, Théorie de la constitution, P.U.F., Paris, 1993.
Mitchell DEAN, Governamentability. Power ans Rule in Modern Society, SAGE Publications, London etc., 1999.
Simone GOYARD-FABRE, Les Fondements de l’ordre juridique, P.U.F., Paris,1992.