Une approche de l’ontologie conceptuelle de l’art
Dariusz GORSKI
Introduction
Ce texte prend pour objectif la présentation et la défense de la these selon laquelle l’ouvre musicale n’existe qu’en tant qu’objet conceptuel. La défense de cette these sera précédée par la critique de deux doctrines ontologiques majeures qui tentent d’attribuer le statut ontologique a l’ouvre musicale, a travers l’analyse des relations entre l’ouvre et ses exécutions. Le platonisme musical stipule que l’ouvre est une entité idéale existant indépendamment des ses exécutions; par contre le nominalisme soutient que l’ouvre musicale n’existe qu’a travers la classe de ses exécutions qui possedent le statut d’objet physique. Selon ma conception, l’ouvre musicale ne se trouve ni dans la fiction du regne platonique des idées autonomes, ni dans la classe des ses exécutions, car en tant qu’objet conceptuel elle ne peut se trouver que dans l’esprit humain. La présentation du processus de formation d’objet conceptuel explique pourquoi il faut accepter l’existence des exécutions de la musique (qui ne possedent que le statut d’objet physique), quoique l’on constate qu’elles ne sont pas considérées comme l’ouvre musicale. La these suivante soutient que l’on ne peut pas parler de formation de l’ouvre musicale a l’extérieur du contexte (conceptuel) de l’histoire de l’art, a travers laquelle on attribue le statut d’ouvre d’art a un objet conceptuel. Passons en revue certains détails.
La critique du platonisme musical
L’explication idéaliste du probleme ontologique, probleme qui tente d’établir la relation entre l’ouvre d’art et ses exécutions, stipule que l’ouvre musicale existe indépendamment de ses exécutions, en tant que substance abstraite. D’apres cette conception les propriétés constitutives des exécutions de l’ouvre (qui existe comme la classe de phénomenes perceptibles) ne sont déterminées que par cette substance abstraite. Nous constatons que l’exécution de l’ouvre musicale pourrait etre considérée comme la présentation de certaines « collections » de sons, ou bien comme un événement (action) qui produit cette structure sonore. Cette structure, en ce qui concerne son statut ontologique, est incontestablement incluse dans la classe des objets perceptibles auxquelles on ne pourrait attribuer qu’un statut d’existence physique.
L’opinion selon laquelle la relation entre l’exécution et l’ouvre d’art n’est pas une relation d’identité, est soutenue par deux arguments. Le premier prend son origine dans l’application du théoreme de Leibniz a l’esthétique, théoreme qui met en valeur le fait que les propriétés constitutives attribuables aux exécutions ne peuvent pas etre attribuées a cette ouvre elle-meme. Le deuxieme se réfere a l’application de la transitivité de l’identité, d’apres laquelle on ne peut pas avoir des exécutions différentes de la meme ouvre. Compte tenu du fait que ses exécutions sont des objets physiques et que l’on ne peut pas identifier l’ouvre musicale avec aucune de ses exécutions, le platonicien conclue sur le fait que l’ouvre appartient a la catégorie de l’etre éternel qui est immuable, rigide et exacte, a l’etre qui est completement indépendant de l’esprit de l’artiste ou du spectateur.
La these du platonisme musical stipule aussi que l’exécution d’une ouvre « X » ne pourrait etre considérée comme telle qu’a condition qu’elle possede les traits constitutifs qui dépendent et sont dérivés des traits de cette ouvre X. En plus l’ouvre musicale est une substance idéale avec les traits T1, T2…Tn et ses traits définissent et identifient la classe de ses exécutions, comme la classe des occurrences sonores qui possedent des traits liés aux T1, T2…Tn..
Richard Wollheim nous a proposé une explication des relations entre l’ouvre et ses exécutions a travers le modele de « type-occurrence », explication qui grâce a sa sophistication, mérite d’etre présentée, quoique son engagement ontologique ne mérite que la critique. D’apres Wolheim l’ouvre musicale en tant que substance idéale partage avec ses exécutions « a large range of properties » a travers un processus qui est nommé « property transmission »86. La fin de toutes les exécutions de « Celeste Aida »sont pianissimo, seulement puisque la fin de l’ouvre « Celeste Aida » est elle-meme pianissimo. Wollheim explique la relation entre l’ouvre et ses exécutions en établissant l’identification entre deux classes de propriétés. Wollheim constate que certaines propriétés ne peuvent etre attribuées qu’aux exécutions, comme la propriété d’etre localisé dans l’espace et dans le temps. En revanche une telle propriété « d’etre composé par Bach » ne peut pas constituer que l’ouvre musicale. Wollheim distingue aussi une troisieme classe de propriétés: celles qui sont constitutives pour chaque exécution, et ce sont justement les traits qui décident que toutes les exécutions sont des exécution d’une telle ouvre. Pour faciliter le travail d’analyse je vais les nommer « les propriétés définitionnelles ». Il me semble que cette analyse wolheimienne pose des problemes qui méritent une analyse plus détaillée.
Premierement nous pouvons admettre que l’existence rigide de certaines propriétés définitionnelles comme critere (condition nécessaire) d’exécution d’une certaine ouvre est un requis trop sévere, du moins selon notre intuition pré – théorique. Meme si l’on accepte une version plus légere de cette condition, c’est-a-dire en admettant que les propriétés définitionnelles ne sont que des éléments indiqués sur la partition (comme par exemple le caractere et la durée d’une note), on est forcé d’exclure toutes les exécutions amateures de la classe des exécutions d’une ouvre donnée. Deuxiemement, nous pouvons trouver une contradiction a l’intérieur du systeme wolheimien. La stipulation que l’ouvre d’un coté et ses exécutions de l’autre, appartient a des catégories ontologiques différentes, est en contradiction avec sa conception de « propriétés définitionnelles ». Il est vrai que la fin dans « Celeste Aida » (c’est-a-dire son caractere pianissimo) est la meme que toutes les fins dans toutes les exécutions de cette ouvre, mais cette considération ne peut paraître vraisemblable, qu’a la base d’une intuition quotidienne et non-philosophique. Il est ontologiquement clair que la présupposition qui assume qu’une ouvre est une substance abstraite, nous force a rejeter la these selon laquelle on peut attribuer la meme propriété a deux objets qui appartiennent a deux catégories ontologiquement distinctes.
Le troisieme point critique qui contesterait l’engagement ontologique de Wollheim concerne le probleme plus complexe de la question de la création musicale. Ce probleme, quoiqu’il ne se réfere pas directement au probleme de l’établissement de la relation entre une ouvre et ses exécutions, prend son origine dans la présupposition qu’une substance abstraite, compte tenue de son statut ontologique, ne peut pas etre créée mais éventuellement découverte. Si l’on prend a nouveau comme point de départ notre intuition quotidienne, il semble que, lorsqu’il s’agit de l’activité de la composition musicale, on la comprend plutôt comme processus de création. Un platonicien a deux possibilités de riposter. Premierement, il peut répondre qu’une ouvre n’est découverte qu’a travers la création. Deuxiemement, il pourrait défendre la position selon laquelle l’abstraction est possible a créer.
Ainsi le systeme de Nicolas Wolterstroff nous suggere cette solution, en nous proposant une nouvelle alternative au probleme du platonisme musical. Wolterstroff souligne le fait que les ouvres et leur exécution partagent un certain nombre de prédicats, mais on ne peut pas clairement juger si un prédicat est attribuable a l’ouvre ou bien a ses exécutions. De l’autre côté, il insiste sur la « relation systémique »87 entre les propriétés qui sont désignées par un prédicat, lorsqu’on l’attribue a une ouvre, et des propriétés qui sont désignées par un prédicat lorsqu’on l’applique a une exécution. Nous pouvons retrouver dans cette conception un élément normatif de l’ontologie idéaliste, puisque certaines propriétés de l’ouvre sont une indication (un critere) d’identité de l’exécution. Je nommerais ce genre de propriété « propriétés normatives de l’ouvre» (PNO).
Le postulat de Wollheim, qui soutient que chaque occurrence de l’ouvre possede en commun avec l’ouvre les propriétés définitionnelles, est bien remplacé par un prérequis de Wolterstorff qui exige que chaque exécution correcte de l’ouvre possede des propriétés normatives a condition que l’ouvre elle-meme possede ces PNO. Je vais nommer ce genre de propriétés d’exécution (qui correspondent avec PNO), les propriétés correspondantes de l’occurrence (PCO). Donc nous pouvons considérer une exécution comme incorrecte si elle ne se finit pas avec A-minor corde en tant que PCO. De plus, chaque exécution correcte doit avoir cette PNO, notamment la propriété d’etre finie par un A-minor corde. Le model wollheimien de type – occurrence est remplacé par Wolterstorff avec une analogie entre l’ouvre et le genre naturel. La relation entre le genre naturel et ses exemplaires est, d’apres lui, une illustration de la meme relation qu’entretient l’ouvre et ses occurrences – un argument qui soutient la vision normative du platonisme musical. Le genre et ses exemplaires partagent un certain nombre de prédicats, lesquels ne peuvent pas etre distinctement attribués a un genre ou a ses exemplaires. Lorsqu’on dit que le chien hurle, on s’accorde a dire que cette propriété est attribuée a un genre, donc Wolterstorff conclue sur le fait que chaque exemplaire correct de ce genre possede cette capacité de hurler.
Je soutiens que le modele de Wolterstorff ne nous offre absolument pas la solution au probleme de l’exécution incorrecte. Compte tenu du fait que le prédicat commun de l’ouvre et de ses occurrences dénote les propriétés que l’occurrence correcte de cette ouvre doit avoir, la possibilité d’une occurrence qui ne posséderait pas cette propriété est évidente. Intuitivement, l’exécution qui ne s’acheve pas avec A-minor corde (par exemple puisque un violoniste a joué C aiguë a la place de C naturelle indiquée dans la partition), peut toujours etre considérée comme une exécution du concert de Bach, quoiqu’elle sera incorrecte. Intuitivement on a le droit d’identifier une exécution fausse comme l’exécution d’une ouvre donnée. Il me semble que cette analogie entre l’ouvre et ses exécutions, d’une part, et le genre et ses exemplaires de l’autre, est fausse, et ne peut pas etre un point de départ pour soutenir le platonisme musical. Les etres humains ne sont pas responsables des choses naturelles, de la meme maniere qu’ils sont responsables d’introduire l’ouvre d’art dans la culture. Les exemplaires naturels apparaissent completement indépendamment de l’intention humaine et d’un systeme de notation quelconque. Il est évident que Wolterstorff exagere lorsqu’il conclue sur l’autonomie et l’éternité des genres musicaux, juste puisque les genres naturels sont ainsi. Cette constatation n’est pas valable puisque ces deux genres, notamment naturel et musical sont simplement incomparables.
Retournons maintenant au probleme de la création. Il est généralement admis que la meme structure sonore qui sera composée dans les temps différents de l’histoire devra etre considérée comme deux ouvres distinctes. Les deux ouvres posséderont des attributs esthétiquement différents, dépendant bien évidemment du contexte musiquo – historique de leurs compositions. « Le Pierrot Lunaire » (1912) de Schoenberg aurait été une ouvre différente si elle était créée par Richard Strauss en 1897. La plupart des ouvres sont composées pour un instrument particulier et elles auraient eu des attributs esthétiques différents si elles étaient jouées sur un instrument différant. La sonate « Hammerclavier » aurait eu une apparence sonore beaucoup plus tranquille et mélancolique si elle était prévue pour la guitare classique. Nous pouvons donc conclure en disant que les ouvres musicales ne sont pas seulement des structures sonores, mais des structures établies par un compositeur dans un temps particulier. Il me semble que le contexte historique attache une ouvre musicale a l’etre temporel. Il est assez évident que le platonicien répondrait que le genre qui était découvert, était indépendant d’un quelconque contexte possible (qui a lieu dans un temps et dans l’espace), puisque ce n’est qu’une expression a laquelle on pourrait attribuer un contexte historique. De plus, cet argument est soutenu par le constat selon lequel les propriétés qui changent dans le temps, propriétés qu’on attribue a une ouvre (a travers le contexte historique) ne sont pas essentielles pour la classe de propriétés qui forme le genre idéal.
La signification esthétique et les implications artistiques d’une ouvre, un platonicien pourrait répondre, n’ont pas le pouvoir de changer l’ouvre elle-meme puisque les propriétés essentielles du genre musical ne sont pas influençables par les propriétés temporelles. Il est tres intéressant pour notre discussion d’examiner une caractéristique d’un genre qui serait détaché du temps et de l’humanité. Nous pouvons trouver la réponse a ce probleme chez Bergson qui soutient dans son argumentation contre « le possible » que seuls les systemes fermés peuvent avoir une existence idéale, meme s’ils ont occupé leur place dans l’existence spatio-temporelle.
Il est possible que les esthéticiens qui soutiennent que l’ouvre musicale n’est pas créée mais découverte, pensent que la musique est un systeme fermé. Il est généralement acquis que les éléments sonores qui forment une ouvre préexistent a notre perception de ceux-ci. Il est quand meme nécessaire de constater le fait qu’une ouvre musicale n’est pas seulement une collection de sons mais un groupe d’éléments sonores en relation. Les ouvres musicales ne nous semblent pas etre des séries d’éléments sonores particuliers mais plutôt une composition entiere et unie, pour cette simple raison que les éléments sonores sont fonctionnellement et systémiquement liés entre eux. Il est vrai qu’un platonicien pourrait nous répondre que ces relations systémiques sont justement des propriétés idéale (immuables, a l’extérieur de l’existence spatio-temporelle). Mais la question qui se pose ici est: est-il plausible que toutes les relations possibles entre tous les éléments possibles soient fixées, immuables et indépendantes du contexte historique? Il est évident qu’il y a des systemes ou de relations entre les composantes de ces dernieres sont fixées, mais il me semble que la plupart de systemes musicaux n’ont pas de relations comme telles.
Nous pouvons comparer la composition musicale avec le systeme des mouvements possibles dans le jeu d’échecs. Il semble possible qu’il y ait deux couples qui jouent deux jeux différents qui sont composés des memes séquences de mouvements. Mais dans une telle situation les mouvements correspondants dans chaque jeu peuvent etre faits dans des intentions différentes, pendant un intervalle de temps différent. Il est quand meme vrai que cette différence de l’intention ne changerait pas le fait qu’un jeu particulier doive etre accordé avec le genre indiqué par les regles du jeu, puisqu’un jeu particulier pourrait etre considéré comme un exemplaire de ce genre. Il paraîtrait donc correct de constater qu’un joueur aurait créé une structure du jeu. Il me semble que cette constatation, quoiqu’elle soit vraie, ne peut pas etre un argument qui soutient le platonisme musical, puisqu’elle ne tient pas compte de la différence suivante: le systeme d’échecs est fermé, ce qui n’est le cas d’aucun systeme musical. Le choix du mouvement dans ce jeu est fini et les fonctions et relations entre les pieces sont bien définies, fixées, immuables puisque les regles elles- memes sont comme telles. De l’autre côté il semble que l’ouvre musicale a une caractéristique ontologiquement différente du jeu d’échecs. Premierement dans l’acte de la composition musicale on peut choisir un nombre infini d’éléments sonores. Donc meme si on est d’accord qu’il y a une limite en ce qui concerne la sélection des éléments sonores, il faut admettre que la composition musicale n’est pas un systeme fermé.
On peut retrouver une autre proposition d’attribution du statut ontologique a la musique dans la conception de Nelson Goodman. Cette proposition, ainsi que le platonisme musical, propose une ontologie en se référant a la spécificité de la relation entre l’ouvre musicale et la classe de ces exécutions. Malgré le fait que l’ontologie goodmanienne est précédée par la critique du platonisme esthétique (qui conteste l’idéalisme de Croce et de Collingwood ) il me semble qu’elle ne propose pas une solution ontologiquement valable. Je vais donc passer a la critique de la conception ontologique de Goodman.
La critique du nominalisme musical de Nelson Goodman
Goodman commence sa recherche ontologique en espérant que la distinction entre les arts autographiques et les arts allographiques va lui permettre d’attribuer un statut ontologique homogene, notamment le statut d’objet physique, a tous les arts. Il me semble que cette distinction goodmanienne, qui propose de traiter les arts autographiques et les arts allographiques disjonctivement, n’est pas valable puisqu’elle est précédée par la fausse constatation qu’il y a certaines catégories d’art, notamment la littérature et la musique, auxquelles l’appellation « falsification » ne peut jamais etre appliquée. Il me semble qu’on peut parler de deux sortes de falsification en art. La premiere sorte inclut les cas ou il ne s’agit que de la falsification de l’objet physique, autrement dit de la production d’objet qui sera spécifiquement identique a l’original. La deuxieme sorte inclut les cas ou il ne s’agit que d’une falsification du style de l’artiste. J’avancerais l’opinion qu’il est bien utile de réduire la premiere sorte a la deuxieme, pour les raisons suivantes. Premierement, chaque production d’un objet spécifiquement identique avec l’original est par définition une limitation du style de l’artiste. Deuxiemement, puisque l’ontologie nominaliste goodmanienne ne traite l’ouvre qu’a travers ses traits perceptibles, nous sommes obligés de suspecter que Goodman ignore aveuglement le rôle de ce qu’on pourrait appeler, en utilisant une expression de Gregorie Currie: « heuristique path »88, c’est-a-dire tous les facteurs qui amenent un artiste a la création d’une ouvre d’art, aussi bien que tous les facteurs qui décident de la valeur artistique de l’ouvre (il s’agit ici des facteurs socio – artistiques, et de l’histoire de la production). On a aucun doute qu’ils sont les traits constitutifs de l’ouvre d’art. Nous pouvons donc tirer la conclusion que meme si un artiste – imitateur ne reproduit pas le meme objet physique que l’original, il peut quand meme commettre une contrefaçon en créant un objet stylistiquement pareil. Une telle ouvre a le point d’accroire qu’elle ressorte du meme « heuristic path » que les autres ouvres originales. Il me semble que du point de vue de la compréhension de la notion de falsification que je viens de présenter, la musique peut etre aussi contrefaite que la peinture.
Nous pouvons maintenant passer a la critique du deuxieme probleme de l’ontologie nominaliste de Nelson Goodman, notamment le probleme de la notation musicale. Ce probleme est bien sur lié a celui de la distinction entre les arts autographiques et allographiques puisque, d’apres Goodman, ce qui est commun a tous les arts allographiques et ce qui n’est présent dans aucun art autographique est la partition qui fait la définition d’une ouvre allographique. La théorie de la notation de Nelson Goodman était établie pour donner une alternative a la conception idéaliste de l’ontologie de l’ouvre de la musique. Plus précisément par cette théorie Goodman essaye de trouver une base d’uniformisation du statut ontologique de la musique. Il me semble qu’on pourrait définir sa position ontologique comme un matérialisme puisqu’il soutient que chaque ouvre d’art existe soit comme un objet physique dans le cas des arts autographiques, soit comme la classe des événements dans le cas des arts allographiques. Dans le cas de la musique, l’ouvre ne peut etre considérée que comme la classe de ses exécutions en accord avec sa partition.
Maintenant nous pouvons expliquer comment Goodman essaye de comprendre l’ouvre de la musique d’une façon nominaliste. En ce qui concerne la musique, son systeme de notation n’est considéré que comme sa définition privilégiée. Selon Goodman la partition peut etre considérée comme la base de définition de l’ouvre de la musique, puisqu’elle comble toutes les conditions suffisantes (les conditions sémantiques et syntaxiques) d’un systeme de notation. Je suis tout a fait d’accord que, du point de vue des conditions établies par Goodman, la partition musicale pourrait nous donner l’impression d’etre un systeme parfait. Il est tres probable que la partition ne prenne pas en considération certains traits musicaux, qui, a mon avis, sont également des traits constitutifs de l’ouvre. On ne peut pas voire clairement comment les indications concernant les valeurs sonores (tempo, dynamique, agogique) pourraient etre incluses dans un systeme notationnel en remplissant toutes les conditions nécessaires. Pour Goodman la réponse est beaucoup trop simple. Cette sorte d’indication ne devrait pas du tout etre incluse dans un systeme de notation.
« …Tempo specifications cannot be accounted integral parts of the score, but are rather auxiliary directions which observance or not observance affects the quality of a performance but not the identity of the work. »89
Remarquons que cette exclusion implique qu’une ouvre, disons le « Boléro » de Ravel, devrait etre considérée comme authentique seulement a la condition qu’elle soit jouée en accord avec l’ordre des notes dans la partition. Le fait qu’elle puisse etre jouée pendant cinq minutes ou bien pendant un mois ne joue aucun rôle en ce qui concerne l’identité du « Boléro » de Ravel.
La deuxieme difficulté concerne l’implication qui stipule que meme si une seule note de toute la partition n’a pas été jouée, cette exécution ne sera tout simplement pas un « Boléro » de Ravel. Il est généralement admis que l’acte d’exécuter une ouvre donnée exige une présence de beaucoup de musiciens, et en pratique, il est presque impossible qu’une exécution quelconque soit jouée sans avoir manqué au moins une seule note. Si on voulait etre tres strict, on pourrait dire que cette sorte d’exécution ne devrait pas etre considérée comme une ouvre originale. La théorie goodmanienne de la notation implique aussi la fausse constatation qu’une « exécution inexacte » n’est pas l’occurrence d’une ouvre donnée. Nous avons déja mentionné que selon la position nominaliste de Goodman la partition définit et identifie l’ouvre de la musique comme la classe des exécutions qui sont en accord avec ce systeme de notation. Une ouvre musicale est donc soit une exécution, soit la classe des exécutions, mais chacune d’entre elles doit etre en accord avec la classe de partition.
Il est quand meme tres difficile d’expliquer a l’intérieur du systeme nominaliste de Goodman, un mode d’existence de la musique qui n’a pas été notée sur la partition comme dans le cas de l’improvisation, ou bien de la musique qui a été notée a titre provisoire par des artistes différents; il n’est pas possible de parler alors dans ce cas d’un ensemble unique des propriétés allographiquement perceptibles, propriétés qui compteraient comme traits constitutifs d’une ouvre musicale. Ce probleme est encore plus accentué quant aux gravures d’Alfred Dürer, et, si on peut constater qu’il n’est pas vraiment possible de trouver une quelconque base d’identification de l’ouvre « Mélancolie » de cet auteur (par ailleurs est-ce qu’on aurait ici un critere possible pour inclure distinctement ces travaux soit dans l’art autographique soit autographique), nous pouvons aussi trouver cette analogie dans le cas de la musique et de la littérature.
Il me semble que, compte tenu de ces deux remarques, nous pouvons contester la position goodmanienne qui soutient que ce ne sont que des propriétés perceptibles (donc propriétés matérielles) qui peuvent etre considérées comme constitutives pour une ouvre donnée. Apres avoir critiqué deux doctrines ontologiques appliquées a la recherche esthétique, notamment l’idéalisme et le nominalisme, je voudrais présenter et défendre ma propre conception qui essaye d’expliquer le statut ontologique de l’ouvre musicale, conception qui applique l’ontologie de Mario Bunge.
L’ouvre musicale comme objet conceptuel
Maintenant je voudrais présenter l’argumentation qui soutiendrait la these principale de ce texte, these qui stipule que l’ouvre musicale possede un statut d’objet conceptuel qui est matérialisé dans l’artefact. Ma proposition, prend pour objectif d’éviter un engagement ontologique qui tomberait dans les pieges du platonisme (qui soutient que l’ouvre de la musique n’est qu’une idée séparée de ses occurrences et accessible a l’expérience d’une façon partielle qui n’est pas du tout essentielle pour l’existence de l’ouvre) et du nominalisme (qui réduit l’ouvre de la musique a la classe de ses occurrences, en tant que jeu des symboles dénué d’un enracinement culturel). Bien sur, il faut reconnaître que les deux doctrines ontologico – esthétiques, ont leurs mérites. En bref le mérite du platonisme est de ne pas entraver la création conceptuelle en tant qu’ouvre d’art, et de ne pas exclure une substance abstraite (non-matérielle et non-mentale) comme un trait constitutif du statut ontologique de la musique. Le mérite du nominalisme est de ne pas croire a la fiction que l’ouvre de la musique occupe le regne platonique des idées autonomes, et de soutenir que le trait essentiel et constitutif de l’ouvre musicale est sa connaissance par un esprit humain, qui ne peut avoir lieu qu’a travers les occurrences, c’est-a-dire les artefacts – objets physiques.
Avant de décrire la nature conceptuelle de l’ouvre d’art, je voudrais présenter en général une spécificité ontologique de l’objet conceptuel lui-meme.
L’essence de l’objet conceptuel est particuliere et elle ne peut etre réduite ni a l’existence matérielle ni a l’existence mentale, donc elle n’est pas soumise aux lois qui reglent l’une et l’autre. Son existence n’est possible que lorsqu’il appartient a un certain contexte. Le concept du nombre 2 existe donc dans la mathématique, mais n’existe pas dans l’histoire ou bien dans la théorie de l’art; en revanche le concept de pointillisme (comme un courant dans la peinture du XXe siecle) existe dans l’histoire et la théorie de l’art mais n’existe pas dans la mathématique. En outre les objets conceptuels n’existent que dans des contextes déterminés.
Le fait de concevoir l’objet conceptuel et de lui attribuer une existence conceptuelle sont deux aspects qui ne peuvent se passer que dans le cerveau d’un etre rationnel, a savoir un etre humain. Les objets conceptuels n’existent pas en eux-memes, ils ne sont pas identiques aux signes qui les désignent, ni aux pensées qui les pensent.
Mario Bunge défend meme une these plus forte selon laquelle
« Pour exister sur le plan conceptuel il faut et suffit qu’un objet soit pensable par tous les etres rationnels faits de chair et des os. »90
Il donne aussi une telle définition d’un objet conceptuel:
« Par un construit ou un objet conceptuel nous entendons une création mentale (cérébrale), et pourtant nous n’entendons pas un objet mental ou psychique comme une perception, un souvenir »91
Il est tres important a présent d’esquisser une différence entre existence matérielle et conceptuelle. Tous les objets matériels possedent les memes propriétés essentielles, c’est a dire qu’ils se trouvent dans un endroit, contiennent de l’énergie et sont capables de changer. En revanche le concept du nombre 3, aussi bien que le concept de « Boléro » de Ravel ne changent pas, (quoique les propriétés esthétiques ou bien artistiques de l’ouvre d’art puissent changer dans le contexte de l’histoire de l’art, mais il s’agit ici d’un changement physique), ils ne se trouvent pas dans un endroit, et ils ne contiennent pas de l’énergie. Nous sommes donc autorisés a conclure que chaque objet est soit conceptuel, soit matériel, et qu’aucun objet ne peut etre a la fois matériel et conceptuel. L’attribution des propriétés conceptuelles a des objets physiques, et des propriétés physiques a des objets conceptuels fait partie de la catégorie des objets ontologiquement mal construits. Un exemple de cette sorte d’objet est la notion de néant, qui est comprise par les existentialistes comme une chose, aussi bien que la stipulation des structuralistes qui présupposent l’existence préalable d’une structure par rapport a l’existence des choses structurées. Il est évident que la notion du néant aussi bien que la notion de la structure ne peut décrire que des objets conceptuels. De l’autre côté nous pouvons donner un exemple d’une fausse attribution des propriétés idéales aux objets physiques, qui s’exprime par la constatation des idéalistes qui soutiennent que les idées existent en tant qu’objets détachés des cerveaux pensables.
Il est aussi tres important de ne pas confondre le concept avec le perçu. Lorsqu’on imagine ou qu’on voit un objet physique, on constate qu’on est en train de former un perçu, ou bien tout simplement qu’on le perçoit. Il faut aussi ajouter que pour qu’on puisse parler d’une quelconque valeur cognitive d’un perçu il est nécessaire qu’il soit (dans une certain limite) analogue a un objet perçu ou bien imaginé. Nous pouvons citer a présent M. Bunge:
« The perceptual representation of a thing is a partial function of its apparent traits into neural events, that preserves some of the relations among such traits. On the other hand a concept or a conceptual representation, of the same thing is no such map: it bears no resemblance to its referents, if any. »92
et plus loin:
« Concepts are brain proccesses, but they do not involve any neurosensors (comme dans le cas de la perception – D.G) even though some of them do originate in perception. »93
Il est aussi important, du point de vue de notre recherche, d’ajouter que Bunge distingue deux sortes d’objet conceptuel:
« In the above we have tacitly distinguished two kinds of concept: those which originate in perception and those which do not. We may call them empirical and transempirical respectively. (…) The transempirical concepts do not originate in perception, i.e they cannot be learned from experience but must be acquired by reflection. »94
Il me semble que lorsqu’on va essayer de préciser la spécificité des relations entre le perçu et le concept empirique d’une part, et entre le concept empirique et transempirique d’autre part on va etre capable de présenter le phénomene de l’ouvre musicale dans une lumiere ontologiquement différente. Je propose donc de continuer la lecture de l’ouvrage de M. Bunge, qui nous propose la précision suivante:
» The transempirical concepts are not necessarily isolated from all empirical concepts. For one thing some transempirical concepts may be suggested by empirical ones.
Conversely, some transempirical concepts may suggest empirical concepts and these in turn may guide some experiences. »95
Maintenant je vais essayer d’appliquer notre recherche au probleme ontologique de l’objet conceptuel au probleme esthétique de l’ouvre musicale. Prenons par exemple un cas de l’ouvre « Tristan und Isolde » de Richard Wagner. Nous pouvons admettre que cette ouvre ne nous soit accessible qu’a travers la classe de ses exécutions. Compte tenue du fait que ce sont des événements qui sont localisés dans un endroit et dans un temps, qui sont capables de changer, et qui possedent de l’énergie, on pourrait se mettre d’accord en ce qui concerne leur statut ontologique – ce n’est que la classe des objets physiques. Mais bien sur on ne va pas répéter apres Goodman que chaque exécution est déja une ouvre musicale.
Si on s’arrete dans notre analyse au niveau des exécutions, il faut dire que ce ne sont que des ensembles de sons ayant le meme titre d’existence que tous les ensembles de sons possibles (le bruit de la rue, les bruits naturels de la mer ou de la foret), et qu’ils possedent une existence absolument indépendante de l’esprit humain, a savoir existence objective. Lorsqu’on prend en considération l’esprit humain il faut ajouter que, dans un entretien avec une exécution donnée de « Tristan und Isolde », premierement il forme un perçu qui est analogue a l’objet physique de l’exécution, quoiqu’il ne le soit pas, puisque il est un objet mental. Cet objet mental possede le meme titre d’existence que les perçus des tous les bruits possibles, a savoir existence subjective. Cette existence n’est plus indépendante car elle dépend de l’existence de l’objet physique d’une part et de l’esprit humain d’autre part. En revanche, elle ne dépend pas d’un contexte conceptuel quelconque. La deuxieme étape se réalise par la formation du concept empirique de l’exécution de « Tristan und Isolde », dont l’existence est différente de celle du perçu puisqu’elle n’est plus un objet mental, quoiqu’elle soit aussi subjective.
Une autre différence repose sur le fait qu’elle dépend (qu’elle est dérivée) d’un perçu. Le processus de formation du concept empirique a la base d’un perçu paraîtrait un probleme assez complexe, il est d’ailleurs un objet de recherche intéressant pour les sciences cognitives. Sans entrer dans les détails, on pourrait affirmer que le rôle de la conceptualisation est de reconnaître la différence entre les données empiriques. Ce processus engage une connaissance de certaines propriétés de ces données empiriques. Cette opération cognitive ne peut plus etre considérée comme perception puisqu’elle repose sur l’acte d’attribution de propriétés. Il est tres probable que pour qu’un récepteur puisse etre capable d’attribuer des propriétés aux données empiriques, il est obligé de former précédemment un concept de ces propriétés. Je dois avouer a présent que je ne peux pas prendre une responsabilité complete pour l’explication du probleme que je viens de présenter. Il est évident qu’elle devrait etre précédée par une recherche plus avancée et plus détaillée, pour pouvoir etre considérée comme exhaustive et scientifiquement valable.
Maintenant je voudrais expliquer comment l’existence d’un concept empirique d’une exécution de « Tristan und Isolde » (ou bien de la classe de toutes les exécutions possibles) donnée, se transforme en concept transempirique de l’oeuve d’art « Tristan und Isolde ». Premierement, il faut rappeler que l’existence du concept transempirique de l’ouvre d’art est une entité épistémologiquement abstraite, car ce concept est détaché d’une quelconque expérience quotidienne. Cette abstraction épistémologique repose sur le processus de remplacement des propriétés phénoménales par des propriétés non- phénoménales. Le statut de chef-d’ouvre de « Tristan und Isolde » ne peut donc etre attribué qu’au concept transempirique, qui n’est ni une chose physique (ou bien la classe de ses exécutions selon Goodman), ni un objet détaché de l’esprit humain (en tant qu’idée platonique). Ce qui est aussi tres important, c’est que ce concept transempirique n’existe que dans un certain contexte conceptuel.
Maintenant je voudrais risquer la these selon laquelle ce concept peut exister seulement dans un contexte de la théorie et de l’histoire de l’art. Il me semble évident que le concept de « Tristan und Isolde » peut avoir le statut de chef- d’ouvre dans un moment historiquement donné. « Tristan und Isolde » ne pouvait pas exister dans le temps de Mozart, puisque son existence dépend des concepts qui se sont développés un siecle plus tard en tant que tempérament musical et systeme tonal. Je dirais meme que si un compositeur comme Mozart avait travaillé dans un systeme tonal du meme tempérament que le systeme tonal de Wagner, il n’aurait pas pu créer « Tristan und Isolde ». On pourrait admettre qu’il aurait pu composer une structure sonore (objet physique), mais en ce qui concerne le concept transempirique il n’aurait pas eu la meme implication musicale et la meme influence esthétique que le concept de Wagner en tant que produit de la culture germanique du XIXe siecle. La structure sonore aurait été la meme, mais les implications esthétiques (qui sont essentielles pour l’attribution d’un statut de chef-d’ouvre a un concept) auraient été différentes. Les implications auraient été différentes de la meme maniere que les significations des mots dans des contextes différents.
Maintenant nous pouvons comprendre que le contexte conceptuel de l’ouvre d’art « Tristan und Isolde », c’est justement l’histoire de l’art. Il me semble que lorsqu’on attribue le statut de chef d’ouvre a un objet, il faut d’abord expliquer ce que c’est que d’etre art (pour un objet) dans un temps donné, expliquer avec une référence aux ouvres du passé qui étaient incontestablement reconnues comme des ouvres d’art. Ce processus est bien sur une formation de concept transempirique et il ne peut se passer qu’a travers la connaissance de l’histoire et de la théorie de l’art. Bien sur, la reconnaissance du chef-d’ouvre ne peut etre faite que par les spécialistes formés dans ce domaine. Nous pouvons rappeler a présent l’appellation de George Dickie, qui se réfere a un ensemble de personnes compétentes pour reconnaître une ouvre d’art, appellation du « monde de l’art »96 (Artworld). Il me semble impossible d’établir les conditions nécessaires et suffisantes d’une ouvre d’art, puisque ce concept n’est pas limité en ce qui concerne ses traits constitutifs. Il semble évident, donc, que le concept d’ouvre ne peut se former que dans le contexte des concepts passés. Bien sur je ne suis pas capable de décrire exactement la relation par laquelle une ouvre de « Tristan und Isolde » est liée avec les ouvres de son passé, mais je dois rappeler que le but de mon travail est beaucoup plus modeste, notamment il ne s’agit pour moi que de prouver que l’art ne peut avoir qu’un titre d’existence d’objet conceptuel.
Un autre argument qui pourrait soutenir cette these prend son origine dans la conception qui traite l’ouvre d’art en tant qu’objet culturel. Je me retrouve ici dans une position proche de la proposition de Joseph Margolis qui soutient que les ouvres d’art sont des entités « culturally emergent »97 et en tant que telles elles sont distinguées des objets physiques (la classe des exécutions) a travers lesquelles elles se manifestent. Les ouvres d’art (en tant que concepts transempiriques, pas en tant que idées platoniques) sont plutôt regardées comme « matérialisées dans » a la place de «identique a » leur classe d’exécutions (comme dans le cas de la théorie de Goodman). Les deux aspects de l’ouvre d’art sont considérés comme des particularités distinctes (soit matérielles, soit conceptuelles), ce qui nous aide a éviter l’engagement ontologique envers l’idéalisme et envers le nominalisme. La seule objection que je retiens contre Margolis est de nature méthodologique. Il me semble qu’il essaye d’expliquer un mode d’existence de l’ouvre d’art sans faire l’effort d’appliquer au discours une ontologie sophistiqué. Par conséquent, sa théorie, qui s’exprime a travers des métaphores et comparaisons ambiguës (comme par exemple l’ouvre d’art est comparée avec une personne et sa matérialisation avec un corps) perd la force argumentative. En revanche l’ontologie de Mario Bunge me paraît préférable pour deux raisons: premierement parce qu’elle est précédée par la critique des doctrines ontologiques générales et deuxiemement parce qu’elle est en accord avec la science physique contemporaine et avec les sciences cognitives d’aujourd’hui.
Les ouvres d’art en tant que concepts transempiriques sont liées les unes avec les autres et a travers cette relation, elles forment le contexte conceptuel de l’histoire de l’art a l’extérieur duquel elles ne peuvent pas exister. Aucun concept transempirique ne peut etre formé, s’il n’est pas précédé par l’existence du concept empirique, et puisque le concept empirique est toujours précédé par l’existence du perçu, qui se forme seulement lorsqu’un esprit humain rencontre un objet physique. Pour toutes ces raisons l’existence de l’ouvre d’art, qui est un concept transempirique, présuppose l’existence de l’objet physique.
Le refus de ces deux conceptions ontologiques de l’ouvre musicale, conceptions qui définissent différemment la relation entre l’ouvre de la musique et ses exécutions, nous donne non seulement la possibilité d’une ontologie de l’art valide, mais il nous permet aussi de voir la nature de n’importe quelle création de l’esprit humain dans une lumiere ontologiquement différente des propositions de l’idéalisme et du nominalisme.
Tout le processus créatif, que ce soit dans l’art, ou dans la science, ou dans la technologie, doit etre distingué de son matérialisation publique donnée a travers les artefacts, les livres, les machines. Chaque processus de création ne peut se trouver que dans l’esprit (cerveau) humain. Parfois ces processus sont extériorisés en tant qu’objets physiques, et dans ce cas, lorsqu’ils sont perçus par des gens compétents, ils provoquent la formation des concepts similaires a ceux des créateurs. Ou est-ce que réside l’ouvre musicale lorsqu’elle n’est plus exécutée ou bien lorsque tout le monde l’a oubliée? Elle n’existe tout simplement pas. Si toute la mémoire d’une piece musicale a disparu des esprits humains, la musique n’existe plus, et n’a pas de chances de ressusciter. Mais s’il en reste une trace quelconque (dans l’esprit en tant que concept, ou bien sur une feuille de papier en tant que partition), l’ouvre musicale a une possibilité de « retourner a la vie ».
Il me semble qu’on pourrait dire la meme chose sur chaque objet de la culture. La sculpture qui n’est pas regardée n’est qu’un morceau de matiere, pareillement le traité philosophique qui n’est pas lu. L’immortalité du chef-d’ouvre n’existe pas juste parce que les créations culturelles peuvent etre matérialisées et cataloguées. La création culturelle survit seulement a la condition d’etre recréée, c’est-a-dire d’etre re-perçue, re-pensée. Les galeries, les musées, et les laboratoires abandonnés ne sont que des cimetieres culturels. Rien n’est plus vulnérable, dépendent et dénué d’autonomie que le monde de la culture. La culture ne réside ni dans les artefacts matériels, ni dans la fiction du monde autonome des idées immatérielles, la culture vit dans les esprits de ceux qui la cultivent.
BIBLIOGRAPHIE
- Bergson, Henri, The Possible and the Real, New York, 1946.
- Bunge, Mario, Epistémologie, Paris ,1983.
- Bunge, Mario, Treatise on Basic Philosophy, New York, 1983.
- Danto, Arthur, The Artworld, Journal of Philosophy, v. 63, 1964.
- Danto, Arthur, Artworks and Real Things, Theoria, v. 39, 1973.
- Dickie, George, Art and Aesthetics, Cornell University Press 1974.
- Goodman, Nelson, Languages of Art, Indianapolis, 1968.
- Levinson, Jerrold, Defining Art Historically, British Journal of Aesthetics, v. 19, 1979.
- Margolis, Joseph, Art and Philosophy, Atlantic Highlands, 1980.
- Morizot, Jacques, La philosophie de Nelson Goodman, Nimes, 1996.
- Pouivet, Roger, Lire Goodman, Quercy-Cahors, 1992.
- Wollheim, Richard, Art and Its Object, New York, 1968.
- Wolterstorff, Nicholas, Works and Worlds of Art, Oxford, 1980.
86 Richard Wollheim, Art and Its Object, New York 1968, p. 63.
87 Nicholas Wolterstorff, Works and Worlds of Art, Oxford, p. 61.
88 Je cite de mémoire.
89 Nelson Goodman, Languages of Art, Indianapolis, 1968, p.185.
90 Mario Bunge, Epistémologie, Paris 1983, p. 53.
91 Ibidem, p. 53.
92 Mario Bunge, Treatise on Basic Philosophy, v. 5, New York 1983, p. 160.
93 Ibidem, p. 165.
94 Ibidem, p. 161.
95 Ibidem, p. 161.
96 George Dickie, Art and Aesthetic, Cornell University Press, 1974, p. 34.
97 Joseph Margolis, Art and Philosophy, Atlantic Highlands, 1980, p. 2.