Biopouvoir et identité. Stratégies de déconstruction du sujet à partir de Michel Foucault

Le mot “biopouvoir” renvoie à la pensée de Michel Foucault, telle qu’elle s’est ébauchée dans ses écrits de la fin des années ‘70. Il apparaît en parallèle avec un autre mot portant le même préfixe, la “biopolitique”. Bien qu’utilisés souvent indistinctement, dans les textes de Foucault et surtout dans leurs exégèses, ils ne se recouvrent que partiellement. En tant que tels, ils ont fait récemment l’objet de plusieurs analyses, dont notamment un numéro spécial de la revue Cités (“Michel Foucault: de la guerre des races au biopouvoir”, no. 2/2000, PUF, Paris) et le premier numéro de la revue Multitudes (“Biopolitique et biopouvoir”, Exils, mars 2000). Le terme est présent aussi dans le récent livre d’Antonio Negri et Michael Hardt, Empire (2001). Enfin, parmi les travaux “classiques” sur ces termes, on peut rappeler l’excellent livre de Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault. Un parcours philosophique (Gallimard, 1984) et le très provocateur ouvrage de Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue (Seuil, Paris, 1997).

Tout cela pour dire que nous assistons aujourd’hui à un intérêt croissant pour cette période de la création de Foucault, qui n’est pas sans rapport avec la publication en 1994 de Dits et écrits, rassemblant en quatre volumes tous les textes écrits par Foucault, et surtout avec la publication progressive des cours au Collège de France. Tous ces textes permettent une meilleure compréhension des préoccupations du philosophe lors de sa dernière décennie de vie, une période très chargée intellectuellement, où les plans de ses travaux changent souvent, où certains projets sont annoncés et d’autres (ou parfois les mêmes) sont abandonnés, enfin, où les hypothèses s’enchaînent dans un rythme très rapide et restent plus d’une fois à ce stade.

Le biopouvoir et la biopolitique n’échappent pas à cette logique de l’accélération. Leur hypothèse devient explicite dans deux textes de 1976: dans le premier volume de l’Histoire de la sexualitéLa volonté de savoir, et dans le cours du Collège de France, “Il faut défendre la société”. Tandis que le premier texte (plus précisément le dernier chapitre du livre) s’inscrit dans l’intention générale de l’Histoire de la sexualité – l’analyse des rapports entre pouvoir et subjectivité – le cours du 17 mars 1976, qui clôt la série des cours pour cette année-là, est plus orienté vers le politique, en venant à conclure un cours qui portait sur la guerre et sur sa pertinence pour analyser les relations de pouvoir.

Je ne veux pas reprendre ici le déploiement de l’argumentation foucaldienne autour de ces deux concepts; ce qui m’importe c’est de présenter, dans un premier moment, la théorie du pouvoir, de la vérité et – à leur croisement – du sujet à travers ces concepts dans les textes tardifs de Foucault et de m’interroger sur la pertinence de cette théorie dans une discussion plus large autour de la question de l’identité. Dans un deuxième moment, j’essayerai d’illustrer quelques utilisations de la “biopolitique” dans le monde contemporain à partir d’une autre idée présente dans ce débat, celle de la vie nue.

 

 

 

Biopouvoir et biopolitique

 

 

Ces deux termes sont la clé de voûte d’une histoire alternative de la constitution du sujet et de son identité que nous propose Foucault: non plus par rapport à ses facultés, à la raison, en tant que différences spécifiques de l’humain. Mais ce qu’il appelle l’entrée de la vie dans l’histoire et dans les stratégies politiques ou économiques, loin d’être un événement isolé ou inattendu, répond au souci qui est celui du monde gréco-chrétien d’articuler un ensemble de “techniques du soi” qui “sont proposées ou prescrites aux individus pour fixer leur identité, la maintenir ou la transformer en fonction d’un certain nombre de fins, et cela grâce à des rapports de maîtrise de soi sur soi ou de connaissance de soi par soi”[1]. Cela ne veut pas dire que l’impératif du “se connaître soi-même” serait faux ou dépourvu d’importance, mais qu’il doit être replacé dans un contexte plus vaste qui s’entame autour de la question: Que faire de soi-même? Comment se gouverner soi-même, en exerçant des actions où l’on est soi-même l’objet (l’objectif) de ces actions et par lesquelles on devient sujet, individu, identité?

Ces actions ne sont, tel que Foucault nous l’explique, ni simplement des actions de production (qui produisent des objets), ni des actions symboliques; elles incorporent également des techniques de pouvoir qui objectivent le sujet et des techniques de soi qui, pour ainsi dire, subjectivent le sujet. Ces deux derniers types de techniques soumettent l’individu à un double travail d’identification, d’abord par l’objectivation/assujettissement et ensuite par la subjectivation.

L’identité du sujet moderne se constitue donc par ce croisement des techniques qui engage à la fois la question du pouvoir et celle de la vie.

 

Le grand effort de Foucault consiste, quant au pouvoir, à lui réhabiliter une compréhension positive, pour laquelle le pouvoir ne se réduit pas à la répression, au schéma contractualiste et juridique. Il n’est pas simplement un mécanisme de domination/obéissance, qui impose une loi et punit sa transgression. Le pouvoir, selon Foucault, est à analyser dans une perspective nietzschéenne comme rapport de forces multiples et hétérogènes; elles sont en même temps des forces de résistance et de création, forces actives et réactives. Il n’existe pas comme propriété ou relation fixe, hiérarchique, entre un supérieur dominant et un inférieur dominé. Ce schéma a longtemps entretenu la lecture juridique du pouvoir en Occident, mais il n’est pas capable d’expliquer la constitution du sujet moderne. Derrière ce discours que le pouvoir (surtout dans ses manifestations institutionnelles) tient sur lui-même, il y a un exercice microscopique du rapport des forces qui changent sans cesse de direction, de sens, de grandeur, d’intensité. Les relations de pouvoir doivent être analysées en tant que traversant le soi, l’obligeant à se récréer continuellement et à résister aux forces qui le trament. Ces relations sont à comprendre, toujours dans le langage de Nietzsche, comme luttes, non pas (uniquement) contre l’autorité, mais contre tout ce qui entre en rapport avec l’individu et tend d’une manière ou d’une autre à l’isoler. Elles sont des luttes “transversales” et “immédiates”, dans le sens précisément où elles ne relèvent ni d’un lieu physique ni d’une distance (verticale ou horizontale) à franchir, mais se déploient et se recomposent quotidiennement. Leur enjeu principal est l’affirmation de l’individu en tant que différent, ce qui ne veut pas dire isolé, solitaire. Il s’individualise tant qu’il se met en relation, participant à ces luttes et – c’est le point le plus important pour nous dans cette analyse – tant qu’il se transforme en sujet, dans les deux sens de ce mot, “sujet soumis à l’autre par le contrôle et la dépendance et sujet attaché à sa propre identité par la conscience et la connaissance de soi”[2].

Si l’on accepte ce sens relationnel du pouvoir, on doit aussi changer de perspective sur la constitution du sujet même. Ainsi, tout d’abord il n’est pas une instance qui détient (ou non) le pouvoir (sur les autres ou sur soi-même), il ne se constitue pas pour dominer l’objet (naturel ou humain), mais il devient lui-même un effet de pouvoir. En cessant d’être, selon l’image du pouvoir, un bloc massif et homogène, une propriété (de soi-même), le sujet subit et exerce, est affecté et fait affecter le pouvoir, dans une configuration ouverte et dans un travail incessant d’adaptation, ce qui l’oblige à réévaluer en permanence son identité, ses buts, ses préférences, ses méthodes d’action. Le sujet est lui-même un produit dérivé d’un processus de subjectivation, d’intériorisation et dérivé en même temps de l’alliance entre le savoir et le pouvoir, sans se réduire à elle. En tant que dérivé, ce produit sera toujours saisi dans des rapports de pouvoir et de savoir, il sera replongé, recodé (Deleuze) dans “le système institutionnel et social”. La subjectivation ne se fait jamais sans un assujettissement complémentaire, dans un jeu de la liberté (esthétique) et de la soumission (morale, politique) qui dessine à chaque fois (autrement) le sujet.

Si le pouvoir s’exerce en réseau, le sujet même cesse d’être un atome ou une monade et dévient, en tant qu’effet, force affectante et affectée, un nœud d’intensités, un relais qui renvoie – par inflexion, rebroussement, retournement, tournoiement, résistance (G. Deleuze) – à d’autres nœuds dans le réseau. Il est “un état de pouvoir toujours local et instable”, singulier et ouvert, différant (pourrait-on parler ici d’effet de différance?…) et intensifiant, concentrant (ou pliant selon le mot de Deleuze) les forces sur soi-même. Mais, nous prévient Foucault, le pouvoir n’y vient pas remplacer un bon sens démocratiquement partagé entre tous les humains du monde. N’oublions pas que nous nous trouvons dans une logique nietzschéenne, pour laquelle il s’agit de lutte, de domination et d’assujettissement, d’incitation et de détournement, de déterminations sélectives qui se gagnent ou qui se perdent.

Quelles sont les implications immédiates de cette conception du sujet? L’inaccomplissement essentiel du sujet, les forces qui l’obligent (le persuadent, le dissuadent, l’incitent ou l’excitent, l’encouragent ou le punissent) toujours à revoir ses positions, ses capacités, font de lui une structure ouverte qui ne dispose (plus) d’un modèle unique à suivre pour s’accomplir. Il doit – et ce devoir prend en Occident, des formes multiples, institutionnelles-étatiques, politiques, religieuses, économiques – s’interroger sans cesse sur lui-même, se soucier de soi-même et trouver les meilleures techniques pour protéger et cultiver ce “soi”. Il doit tenir sur lui-même un discours de vérité.

La vérité est l’un des éléments les plus importants dans l’analyse foucaldienne du pouvoir. La culture occidentale nous a transmis cette obligation de vérité qui accompagne tout travail sur soi-même et qui requiert des individus de se soumettre à “un certain nombre d’opérations sur leur corps, leur âme, leur pensées, leurs conduites, et ce de manière à produire en eux une transformation, une modification, et à atteindre un certain état de perfection, de bonheur, de pureté, de pouvoir surnaturel”[3]. Aussi, ils doivent mettre en discours vrai toutes ces opérations, de s’attester eux-mêmes à travers l’aveu de la vérité et de faire passer par les actes de langage tout ce qui a affaire avec le perfectionnement de soi (par exemple la sexualité).

La généalogie des pratiques discursives qui articulent le savoir et l’action et qui s’inscrivent dans les jeux de pouvoir qui traversent le sujet doit passer, selon Foucault, par une recherche de l’histoire de la vérité qui permet au sujet de se reconnaître comme sujet (par la relation à soi et aux autres). Cette histoire de la vérité est “une analyse des mécanismes de la vérité, des jeux du vrai et du faux, à travers lesquels l’être se constitue historiquement comme expérience, c’est-à-dire comme pouvant et devant être pensé. Par quels mécanismes de vérité pense l’homme son propre être lorsqu’il se considère fou ou malade, quand il se juge et se condamne comme coupable, quand il se pense comme être vivant, parlant et travaillant? Par quels mécanismes de vérité se reconnaît l’être humain comme homme du désir?”[4]

Cette obligation de vérité ne reste pas confinée, toujours dans cette culture occidentale qui est la nôtre, dans un plan épistémologique; l’enjeu de ce savoir n’est pas une vérité objective pensée selon le modèle d’une correspondance, mais une vérité à portée éthique. L’identité du sujet, selon Foucault, se construit dans un plan plus large, du gouvernement de soi, dans le sens infra-politique de ce mot, où le dire vrai est la condition minimale d’une bonne conduite et où la vérité entre dans un jeu d’instrumentation de soi (et des autres). Par exemple, dans le cas de la folie, “c’est bien à travers un certain mode de domination exercée par certains sur certains autres que le sujet a pu entreprendre de dire vrai sur sa folie présentée sous les espèces de l’autre… Si je dis vrai sur moi-même… c’est que, en partie, je me constitue comme sujet à travers un certain nombre de relations de pouvoir qui sont exercées sur moi et que j’exerce sur les autres”[5]. Elle occupe cette position intermédiaire et, pour cela, tendue et tordue, entre les modes de subjectivation (qui répondent à la question: Comment se constitue le sujet d’une connaissance, d’une action?) et les modes d’objectivation (qui se charge de cette autre question: Dans quelles conditions peut devenir quelque chose l’objet d’une connaissance ou d’une action? Et cela tout en admettant que ce “quelque chose” peut être l’individu humain lui-même). Au croisement de ces deux modes, la vérité a donc plutôt une fonction pratique et éthique. Les jeux de vérité articulent non pas (ou non seulement) des connaissances (vraies) sur des choses (vraies), mais des règles de “véridiction” qui doivent produire des effets sur le réel, des expériences individuelles ou communes, “une aire et des individus donnés”[6].

Pour conclure cette partie sur la constitution du sujet en tant que champ traversé de jeux de pouvoir et de vérité, donnons encore une fois la parole à Foucault. Il déclare explicitement qu’il ne veut pas construire une théorie du sujet, à partir de laquelle ensuite on s’interrogerait sur les conditions de possibilité d’un savoir ou d’une connaissance. A la différence de la phénoménologie, il veut montrer comment le sujet se constitue dans telle ou telle forme déterminée (sujet fou, sujet sain, délinquant, etc.), à travers certaines pratiques de vérité et de pouvoir:

 

“(Le sujet) n’est pas une substance. C’est une forme, et cette forme n’est pas surtout ni toujours identique à elle-même. Vous n’avez pas à vous-même le même type de rapports lorsque vous vous constituez comme sujet politique qui va voter ou qui prend la parole dans une assemblée et lorsque vous cherchez à réaliser votre désir dans une relation sexuelle. Il y a sans doute des rapports et des interférences entre ces différentes formes du sujet, mains on n’est pas en présence du même type de sujet. Dans chaque cas, on joue, on établit à soi-même des formes de rapport différentes”[7].

 

Retenons donc de cette approche le défi lancé par Foucault – et qui est somme toutes celui du monde occidental, surtout dans ses configurations actuelles – d’un sujet sans substance donnée, d’une forme dynamique, d’une pluralité de sujets dans l’unité abstraite et formelle de ce qu’on appelle identité du sujet, un défi qui va jusqu’à la mise en question radicale (dans une lignée encore une fois nietzschéenne) du sujet comme la seule forme d’existence possible à travers des expériences qui plutôt déconstruisent l’identité que la construisent, qui permettent au sujet de se dissocier de lui-même, de briser le rapport à soi, d’avec un “soi” donné, imposé, projeté, etc. Plus encore, la subjectivité, la lutte moderne autour d’elle, semble être précisément la réponse à toute tentative d’attachement à une identité fixée, préétablie, et donnée une fois pour toujours.

C’est pourquoi, à la limite, nous pouvons lire cette théorie du sujet dans les termes d’une opposition entre subjectivité et identité, tant que la première renvoie à la création esthétique de soi (à la vie comme œuvre d’art, selon Nietzsche) et la deuxième aux codes moraux ou politiques des systèmes auxquels l’individu appartient. Cette lecture foucaldienne de l’identité comme jeu infini d’interprétations du monde et de soi trouvera un retentissement inouï et souvent fort éloigné de ses sources dans certaines idéologies ou modes contemporaines.

 

 

 

L’anatomie politique du corps humain, la biopolitique de la population

 

 

Foucault parle, dans La volonté de savoir, d’un “seuil de la modernité biologique” qui aurait été dépassé par les sociétés qui incorporent la vie (le corps vivant, l’espèce humaine vivante) dans leurs propres stratégies politiques. “Bio-histoire”, “bio-politique”, “bio-pouvoir” sont les termes qui désignent dans ce livre la prise en charge par le pouvoir de la vie même, de la vie biologique, dans son sens anatomique et physiologique, somatique ou métabolique.

Dans les deux ouvrages cités au début de ce texte, Foucault met en relation le biopouvoir avec la souveraineté. L’ancien droit (de faire mourir et laisser vivre), en tant que droit de tuer au nom du roi, est remplacé graduellement – et au fur et à mesure que d’autres mécanismes (économiques, politiques, scientifiques) de la société moderne se mettent en place – avec le droit (doublé du pouvoir, de la capacité) de faire vivre et laisser mourir. Ce remplacement (que Foucault décrit plutôt en terme de mise en série, de supplémentarité), qui n’est ni simple, ni évident, correspondrait à une nouvelle compréhension de la vie, celle qui renvoie au terme grec de zōē, en tant que vie “naturelle”, vie “nue”, selon l’expression de Giorgio Agamben. Reste, certes, à discuter dans quelle mesure pouvons-nous parler effectivement d’une vie nue, c’est-à-dire dénuée, dépourvue de toute signification “humaine” ou “humaniste”, surtout dans notre tradition culturelle et métaphysique. Mais prenons cette “nudité” à titre d’hypothèse et dans son sens purement biologique, tel que le font Foucault et Agamben.

L’entrée du biologique dans le calcul politique marque une nouvelle sensibilité et une nouvelle configuration du monde, qui correspond au développement du capitalisme par l’adaptation réciproque des phénomènes de population et des processus économiques. Cette double perspective – politique et économique – sur la vie a lieu sur un fond d’élargissement des connaissances scientifiques en anatomie, physiologie et des connaissances sur la nature, en même temps avec l’apparition des sciences dites sociales, dont la démographie et l’économie politique. Ce développement scientifique ouvre deux possibilités complémentaires et simultanées, mises en pratique par l’histoire récente, “de protéger la vie et d’en autoriser l’holocauste”[8]. Aussi, il s’accompagne, selon Hannah Arendt, d’un déclin progressif de l’espace public dans les sociétés modernes, par la permission que le pouvoir étatique s’accorde d’intervenir, au nom justement de cette protection de la vie, à la fois dans l’espace public et dans l’espace privé.

Je ne veux pas faire ici l’histoire de cette évolution du capitalisme, elle a été analysée par Foucault dans ses livres et par beaucoup d’autres auteurs tout au long du XX-ème siècle. Ce qui m’intéresse c’est de voir comment le vivant devient enjeu des stratégies politiques et économiques, comment à travers ce devenir un concept de la liberté du sujet apparaît, sans laquelle le rapport de ce sujet à lui-même et aux autres ne serait pas possible. Foucault parle même d’une ontologie du corps et de ses puissances créatrices, grâce à laquelle l’économique (dans le sens primaire du terme, oikos, comme affaire, gouvernement de la famille, territoire des besoins et des satisfactions privées) et le politique (toujours dans un sens ancien, en tant que gouvernement de la polis, de la res publica) s’intègrent l’un à l’autre. D’une part, donc, comment gérer les affaires de l’Etat selon le modèle de la famille, comment gouverner la polis à la façon d’un père? D’autre part, et strictement en dépendance de la première série de questions: Comment induire dans le privé, à l’intérieur de la famille et dans chaque corps et chaque conscience, les règles, les normes qui permettent le bon gouvernement de l’Etat? L’anatomie politique moderne et la biopolitique de l’espèce humaine sont la réponse à ces questions, en situant la vie non-qualifiée, la vie nue au carrefour du privé et du public, en la découpant en fonctions et finalités spécifiques, selon des techniques appropriées. La politique prend en charge la vie, qui n’est plus donnée par une puissance divine, elle n’est plus sanctifiée au nom d’une transcendance; le souci politique pour la vie concerne à la fois la vie biologique de l’individu, en deçà de toute détermination ou qualification métaphysique, idéale, et la vie de la société dont le nom scientifique est maintenant la population. Celle-ci n’est plus qu’un continuum soumis aux forces extérieures qui puissent la menacer, forces pathologiques, destructrices. L’intrusion du politique dans ce continuum a pour but d’écarter ces forces, par tout un travail de médicalisation de la société, par un discours scientifique-hygiéniste qui définit (pour transgresser à son gré) les frontières entre le public et le privé.

L’ontologie proposée par Foucault envisage un sujet divisé, champs de forces et d’intensités (physiques, productives, psychiques, sexuelles) qu’il s’agit de dresser, de bien orienter, de faire travailler au profit du grand corps de la société. Pour maîtriser ce champ de forces, il faut aller jusqu’au plus profond du sujet, jusqu’à ses fantasmes inavoués ou inavouables, jusqu’à sa constitution anatomique ou physiologique, là où s’articule cette autre raison du corps dont nous parlait déjà Nietzsche.

L’individu, à son tour, devient sujet reconnu par les autres et, à la fois, reconnaissable pour lui-même, dans la mesure où il effectue sur lui-même, sur son corps, sur sa sexualité, sur son affectivité, etc. ce travail de “normalisation” et de régularisation économique. Il dispose de cette liberté, si vantée par les Modernes, d’agir sur lui-même, de faire de son corps une création propre, de résister aux injonctions des autres, tout en restant à l’intérieur de la norme. Liberté donc qui est indispensable au pouvoir, au bio-pouvoir. Elle prend la forme d’un champ de possibilités qui s’ouvrent aux sujets individuels ou collectifs pour réaliser leurs conduites, leurs différents comportements. La liberté – loin d’être le contraire du pouvoir – en est sa condition d’existence, préalable et permanente et, comme telle, ce qui offre toujours l’opportunité d’une résistance, d’une opposition à tout pouvoir. Dans cette agonistique moderne de la liberté et du pouvoir, l’un des terrains de bataille privilégié est justement le corps humain.

L’enjeu majeur de la biopolitique, et tant que “mode propre de subjectivation politique” (J. Rancière) est donc le corps; il l’est tant dans sa dimension individuelle (corps sexué, abritant ou développant des désirs ou des fantasmes) que dans sa dimension collective (comme corps social, population) et doit être pris en compte selon ses lignes de force et ses faiblesses, selon aussi les intérêts techniques qui (se) l’approprient. Il n’est plus soumis aux technologies disciplinaires classiques, de la discipline, du dressage, de la surveillance, selon le modèle panoptique, mais il entre dans un raisonnement qui fait de lui un corps global, une masse (comme dans l’expression: “le corps social”), affectée par des processus d’ensemble qui sont propres à la vie, “corps multiple, corps à nombre de têtes, sinon infini, du moins pas nécessairement dénombrable”[9].

Le corps individuel, porteur de la vie nue, manifestant des besoins fondamentaux, des pulsions secrètes, est le corps dont la principale propriété, selon Foucault, est la sexualité. Le corps social est doté lui aussi d’une sexualité, mais cette fois sous la forme de la reproduction, de la natalité, de la “bonne naissance”, de la race, etc. “Le sexe donne en même temps accès à la vie du corps et à la vie de l’espèce”, son exhibition (moins physique que discursive dans le monde moderne, de plus en plus physique, jusqu’à la pornographie, dans le monde spectaculaire postmoderne) est celle d’une nudité plus que corporelle, plus qu’anatomique. J’oserais dire que la symptomatologie mise en évidence par Foucault est celle du désenchantement même du monde, projet auquel la modernité a travaillé avec tant d’acharnement et de succès. La pensée stratégique et administrative de la modernité met en calcul ce qui lui avait auparavant échappé ou qui plutôt était censé résister à toute manipulation économique. La métaphysique du corps – qui l’avait pensé soit dans sa fusion avec l’esprit, soit dans sa dépendance envers celui-ci (les seules garanties d’une identité) – est progressivement renversée ou remplacée par une économie politique du corps qui, ayant perdu ses attaches transcendantales, devient vulnérable et s’expose à tous les découpages possibles par les disciplines dites socio-humaines ou par les stratégies du biopouvoir.

Le discours qu’il porte sur lui-même est un discours contradictoire: il faut qu’il se libère, il faut qu’il s’affirme comme corps de chair et de désir, mais en même temps cette libération n’aboutit pas à décrocher un sens supérieur, à inventer une “spiritualité” nouvelle.

Ses métaphores envahissent dans les deux derniers siècles le discours politique. La biologisation de l’imaginaire social, contemporaine du constat nietzschéen de la mort de Dieu, conduit à une ré-matérialisation de l’identité: “corps”, “sang”, “chair”, “terre”, etc. cessent d’être des concepts philosophiques (s’ils l’ont jamais été) pour enrichir et plasticiser les discours d’auto-affirmation identitaire. La société entière (ou, si vous voulez, pour une fois, la nation, la patrie) est un corps vivant, les mouvements intérieurs relèvent d’une physiologie sociale qu’il faut (démographiquement, sociologiquement, psychologiquement, etc.) surveiller et améliorer, tandis que les autres (sociétés, peuples, nations, minorités, etc.) sont des virtuels ennemis, facteurs pathogènes prêts à tout instant à altérer, à perturber cet équilibre fragile de la vie du corps-nation.

La “qualité”, la supériorité de ce corps (de sa race) est prouvée scientifiquement et elle peut être réduite à des calculs, à des comparaisons, à des statistiques. La logique du biopouvoir compte sur la possibilité, démontrable scientifiquement et techniquement, de réduire les qualités (individuelles ou collectives) à des quantités mesurables, de découper le continuum de la vie (toutes ses formes, toutes ses manifestations) en tranches dotées des valeurs spécifiques. Le racisme est l’un des moyens de mettre en pratique cette logique, en reprenant et en détournant le rapport guerrier ami/ennemi. “Faire vivre” (les siens), selon la formule de Foucault, passe alors nécessairement par un “faire mourir” (les autres, les étrangers, les allogènes). Ce qui pouvait se présenter comme une liberté, comme un souci pour la liberté, devient avec le racisme – dans sa forme étatique, politisée, institutionnalisée – la liberté de tuer l’autre au nom des valeurs du sang, de la race, de la terre.

L’identité, repliée sur ce découpage “pseudo-scientifique” du champ biologique, comme dernier refuge du marathon identitaire moderne, trouve dans les métaphores darwiniennes (ou pasteuriennes) la source indispensable de sa figuration, de sa projection imaginale. La mise en avant du corps (sur un fond de silence ou même de mutisme de l’âme, de l’esprit) réduit les différences inter-individuelles à des statistiques, tableaux ou échelles évolutives et l’identité au donné toujours menacé. La nouvelle religion du corps (mode, pornographie, libération sexuelle, culturisme, tatouage, piercing etc.) est un “athlétisme d’État” (selon l’expression de Peter Sloterdijk, mais utilisée ici dans un autre sens), qui s’est fixé comme but l’auto-affirmation épidémique, sanguine, agricole de l’individu postmoderne.

 

 

 

Les avatars de la biopolitique dans le monde contemporain

 

 

L’entrée du biologique dans les calculs politiques marque donc la fin d’une distinction que les Anciens ont faite entre oikos et politeia, entre une corporalité biologique à soigner dans le privé et une corporalité commune (plutôt un commun qui fait corps), politique, à débattre dans le public. Le biologique appartenait au monde pre-politique de la famille sur lequel la politique n’avait pas beaucoup à dire. Comme il est à chaque fois individuel, par la conformation corporelle des besoins et des désirs, il ne peut pas faire l’objet d’une discussion commune, devant être relégué et réglé dans l’intimité du foyer familial. Selon Hannah Arendt, il y a une division stricte entre la famille et la chose publique, entre les besoins individuels et les besoins communs, surtout par leur degré de visibilité et de satisfaction. Ainsi, les premiers doivent rester dans l’ombre de l’indistinction personnelle, tandis que les derniers doivent être montrés et résolus publiquement, par la responsabilité assumée des acteurs politiques. Le concept même de “biopolitique” serait alors contradictoire, on pourrait plutôt dire “bio-anti-politique” pour décrire ce qui va se passer dans le monde moderne.

La biopolitique, tel que nous l’avons vu avec Foucault, rompt avec cette séparation, au nom justement d’une meilleure protection de la vie, dans un plan scientifique, médical, politique, économique. L’évolution biopolitique décrite par Foucault est arrivée à connaître aujourd’hui des formes inouïes, à travers ce qu’on appelle dans un langage courant, trop courant, politiques de l’identité. Sans plus revenir au racisme, si bien décrit par le philosophe français ou par Hannah Arendt, je voudrais donner quelques exemples de ces politiques, qui s’appuient sur une compréhension biologisante de l’identité. Ces exemples, et beaucoup d’autres, ont été présentés par Agnes Heller et Ferenc Fehér dans un livre récent, Biopolitics, publié en 1994 (Aldershot, Avebury, Vienne) et dans un débat qui a suivi à la parution de ce livre, dont les plus importantes contributions ont été rassemblées dans le recueil Biopolitics, The politics of the Body, Race and Nature (Avebury, European Centre Vienna, 1996).

Le premier exemple procède précisément de ce qu’on appelle aujourd’hui aux Etats-Unis la “biopolitique”. Cette idéologie, qui partage peu de choses avec les analyses de Foucault, compte toutefois sur le diagnostique que le philosophe français fait au devenir bio-politique du monde moderne. Elle est une idéologie pseudo-scientifique et est élaborée à partir d’une image médicalisée de la société. La racine prétendument scientifique (mais qui n’est pas moins mythique) c’est celle de la distinction entre genres et races, prouvée génétiquement, et qui doit être surmontée par une action affirmative, de réhabilitation du genre (féminin) ou des races ignorées, exploités ou considérées comme inférieures au long de l’histoire. Le scientifique travaille ici pour objectiver, pour donner une légitimation objective, à une subjectivité incapable de s’auto-déterminer, à une communauté qui ne croît plus à rien qu’à elle-même en tant que différente et supérieure.

La race et le sexe sont, dans une société de masse où l’indistinction sociale est de plus en plus difficile à assumer, un dernier et solide refuge de l’identité. Simplement, ce refuge identitaire, en tant qu’acte libre et se revendiquant de la démocratie, réduit la différence sociale, motif de débat public, à la différence de race ou de sexe, qui ne laisse pas de place pour un débat. Etre femme ou être homme, être blanc ou être noir sont des qualités données une fois pour toutes et ne relèvent pas de la conviction publique d’une personne; se révolter contre la domination masculine ou blanche dans l’histoire (comme par exemple celle du rationalisme de Descartes, lui-même homme et blanc) c’est réduire tout débat à une opposition inconciliable, que ni même un langage ou une attitude “correcte” ne peuvent surmonter. La pensée du genre et de la race est toujours celle d’un individu s’identifiant lui-même en tant que membre d’une race. Il rabat sur le biologique toute différence d’avec l’autre et réduit la communauté à laquelle il appartient à la communauté de sang. Il fait corps (dans le sans le plus anatomique du mot) avec ses semblables et se méfie des autres corps (autrement sexualisé ou pigmenté) comme des facteurs perturbateurs, même dangereux. La politique correcte n’est pas alors un guide de conduite politique sur des affaires publiques, mais un ensemble de règles qui tentent de tenir à distance l’autre (l’homme, le blanc, l’hétérosexuel) qui domine, qui impose, qui menace, qui force. Le rapport ami/ennemi ne passe plus ici par une conviction politique mais par une opposition biologique, où l’autre est hostile et incorrecte par excellence, selon l’expression d’Agnes Heller[10]: “La politique de race ne se soucie pas de ‘l’humanité’, ni du membre individuel de la race. Les armes pour démasquer l’autre sont forgées et utilisées par les mouvements biopolitiques contre leurs ennemis. Son modus operandi est le suivant: les ennemis disent ce qu’ils disent parce qu’ils sont mâles, par exemple… La cérémonie biopolitique pour démasquer suit le modèle général de la méthode totalitaire pour réfuter un argument”.

Et encore, pour conclure:

“La biopolitique ne requiert pas l’exercice de la liberté. Elle ne valorise pas (ou pas trop) la liberté, sauf quand il s’agit d’elle comme d’un droit qui sert une finalité biopolitique. C’est pourquoi la liberté n’est pas une fin en soi, mais un moyen qui sert une fin: un pouvoir plus grand d’un groupe constitué biologiquement or un programme contre ses ‘autres’: ses ennemis. Nulle part ailleurs la dichotomie ami/ennemi n’est aussi forte et présente que dans la biopolitique. Il est plus important de lutter contre quelqu’un que de lutter pour quelqu’un. Plus encore, les entités biopolitiques se constitue d’abord par la constitution de leurs ennemies”[11].

 

Nous sommes donc là, avec cette action biopolitique, comme il ne se peut plus loin de toute pensée nietzschéenne ou foucaldienne. La subjectivation, en tant qu’affirmation de soi, et qui chez Foucault était justement censée s’opposer aux identités fortes, se réduit ici à une action d’identification ségrégationniste et exclusive, une action ressentimentaire, pour le goût des masses et des média. “Sexe, race, vie et mort sont des choses intéressantes et s’ils deviennent les slogans des groupes, les masses, les foules, les gens y participent”[12].

 

Un autre intervenant dans ce recueil autour de la biopolitique est Péter György. Il part aussi de la théorie foucaldienne du corps et affirme que la biopolitique actuelle a affaire, après l’échec de la modernité et de la rationalité universelle, avec le corps abandonné, sur lequel il s’agit d’intervenir politiquement et culturellement. Et cela d’autant plus que l’espoir d’émancipation du corps par la révolution sexuelle s’est évanoui, en laissant ainsi le corps muet, incapable d’articuler un dialogue avec l’âme. Ce qui reste à faire alors pour le corps c’est d’affirmer son propre pouvoir et son authenticité, à travers tout un travail sur lui-même, travail de modélisation et d’esthétisation, de sculpture et de peinture sur lui-même. “L’image de mon corps est devenue maintenant l’image en miroir de ma position sociale dans la société, mes dépendances et mes vulnérabilités, plutôt que ce qu’il devrait être idéalement: la Maison de l’Esprit. Quand je m’habille, j’achète une personnalité, tout en soutenant une prétention à l’individualité authentique que je façonne à ma taille soigneusement”[13]. A travers des phénomènes comme la mode, la biopolitique a renforcé la demande d’identité sociale; ainsi, dans un monde des surfaces et des visibilités, la présence du corps individuel devient distincte à travers un jeu sémiotique permanent, d’habillement ou de déshabillement, d’investissement esthétique excessif et éphémère, selon les normes insidieuses du moment, dictées par un système économique et politique dont la fonction principale reste le profit. On est ce qu’on est, on est quelqu’un de distinct, si l’on suit les caprices de la mode, de la diète, du body building, du tatouage, des opérations esthétiques (qui, j’allais dire, ont complètement mesinterprété l’idée nietzschéenne de la création esthétique de soi; mais, finalement, je ne suis pas sur que les idéologues contemporains du corps parfait partagent beaucoup d’idées avec Nietzsche…).

Mais la présence du biologique ici n’est que factice: le sport actuel, le culturisme ou l’aérobic n’ont pas trop à faire avec la santé ou la bonne forme du corps. Avec la bonne forme oui, mais pas dans le sens médical du terme, mais plutôt dans un sens spectaculaire, médiatique et économique. La bonne forme (laissons de coté le bon contenu…) garantit une présence sûre parmi les autres et surtout une capacité de travail supérieure. La culture du corps, dans ces spectacles actuels, serait, selon Péter György, la négation même de la tradition intellectuelle: tout ce que cette culture peut nous dire c’est qu’il n’y a plus rien que le corps, que son image et que sa perfection mathématiquement calculable: “le corps n’est plus la maison – même plus la prison de l’âme, mais un terrain de lutte pour établir une identité culturelle”[14]. Pour compléter cette affirmation, je dirais pour finir qu’ainsi, l’âme même a cessé d’être une prison du corps, tel que Foucault pouvait encore le croire, et que sa nudité l’expose irrévocablement à toute appropriation technique, scientifique, sous la pression désormais exclusive du capital.

La biopolitique, dans ses avatars contemporains et dans une évolution que Foucault ne faisait qu’annoncer à titre d’hypothèse, déplace la question de l’identité dans l’espace de la vie nue, de moins en moins capable de résister aux assauts du Pouvoir. La création de soi est maintenant comprise littéralement, comme possibilité réelle de construction technique (parfois sous des couverts médicaux, esthétiques ou moraux, mais le plus souvent sans couvert du tout) de la vie dans des formes améliorées, dans une forme humaine bio-technologique qui nous oblige à revoir toutes nos ontologies et toutes nos métaphysiques, tombées ainsi et définitivement en désuétude.

(*) Maître des conférences au Département de Philosophie de l’Université de Cluj (Roumanie), président de l’ARCHES ( 2000-2002), auteur de: Sensus communis. Pentru o hermeneutica a cotidianului (Sensus communis. Pour une herméneutique du quotidien); Anarhia sensului. O fenomenologie a timpului cotidian (L’Anarchie du sens. Une phénoménologie du temps quotidien); Inventarea spatiului. Arhitecturi ale experientei cotidiene (L’invention de l’espace. Architectures de l’expérience quotidienne), parus en 2001.

[1] Michel Foucault, Dits et écrits, IV, Gallimard, 1994, p. 213.

[2] Ibidem, p. 227.

[3] Ibidem, p. 171.

[4] Michel Foucault, Istoria sexualitãþii, Ed. de Vest, Timiºoara, 1995, p. 128.

[5] Michel Foucault, Dits et écrits, IV, p. 451.

[6] Ibidem, p. 632.

[7] Ibidem, pp. 718-719.

[8] Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, Seuil, Paris, 1997, p. 11.

[9] Michel Foucault, “Il faut défendre la société”, Seuil-Gallimard, Paris, 1997, p. 218.

[10] Agnes Heller, “Has Biopolitics Changed the Concept of the Political? Some Further Thoughts About Biopolitics”, op. cit., p. 5.

[11] Ibidem, p. 11.

[12] Ibidem, p. 14.

[13] Péter György, “The Order of Bodies”, op.cit, p. 43.

[14] Ibidem, p. 47.