Enjeux théoriques dans l’étude des journaux intimes du XXe siècle

Izabella BADIU

 

Le journal intime est un des genres qui connaissent une vogue constante auprès du public tout au long du XXe siècle et il semble avoir suivi les métamorphoses autant dans les goûts des lecteurs d’une décennie à l’autre que dans les pratiques d’écriture de ceux qui les ont tenus. Toujours est-il que le journal, par la pluralité des formes qu’il revêt, est resté en mal de définition ce qui rend impérativement nécessaire la démarche ici proposée, nommément de faire le point sur les questionnements, les définitions et les approches qu’a suscités ce genre si difficilement classable. A partir de la sixième décennie du XXe siècle et jusqu’aujourd’hui, le journal intime a fait l’objet de nombreux débats et il a été revendiqué par différentes disciplines humanistes. Dans le désaccord général, chacun poursuit les recherches avec les outils qui lui sont propres et il nous semble qu’un survol de la critique pourrait nous servir énormément avant de nous lancer à notre tour dans le décryptage de cette forme d’expression, à la fois pour éviter les redites que pour nous situer plus judicieusement par rapport à des repères déjà bien fixés par les voix d’autorité dans ce domaine.

 

1. 1. Définitions

 

Le vocable journal intime fait peur. Théoriciens et critiques s’attaquent avec méfiance à en parler et c’est une pratique courante de le contourner, de le définir plus par la négation que par l’affirmation. Souvent l’on assigne au journal, connoté d’intime ou pas, un terme nettement moins incommode et plus englobant qui varie entre écrits et écritures du moi. Ainsi, est-il plus facile de poser la sphère large où ce type de textes, nul pareil aux autres, se meut : « Les frontières entre genres littéraires sont donc assez floues pour ces écritures qui ont échappé aux théoriciens classiques et se sont surtout développées en dehors des Arts poétiques […] Les écritures du moi s’infiltrent partout, et remettent en question les limites – c’est là un de leurs intérêts. »28 Nous retenons de la remarque de Béatrice Didier l’absence d’ « art poétique », par conséquent de définition rigoureuse du genre, ainsi que la variabilité, la liberté des formes d’expression du moi. Néanmoins, dans le même article le très réputé critique semble se référer plus ponctuellement au journal intime en tant que forme privilégiée parmi les écritures du moi car « l’esquisse est riche de beaucoup de virtualités que l’achèvement de l’śuvre va obliger à sacrifier. Mais alors des notes jetées sur un cahier ou sur une feuille volante, au hasard des jours, ce en quoi précisément consiste le journal, acquièrent droit de cité dans la république des Lettres. D’autre part, il y a toujours eu un rapport entre expression du moi et formes fragmentaires. »29 Voici donc une définition actualisée du journal (elle date de 1998), qui met en valeur ses potentialités, et surtout qui offre les deux principales clés de sa lecture : fragment pour la forme, moi pour le contenu.

Aussi utile que cette mise au point puisse être, car elle délimite bien le journal au sein de la variété des écrits personnels, nous sommes obligés de remonter le fil des définitions pour surprendre plus ponctuellement dans chacun des sous-chapitres qui suivent le plus grand nombre de traits que la critique, plutôt parcimonieuse à l’égard du journal intime, a pu lui attribuer.

La même Béatrice Didier, dans un ouvrage fondateur pour l’étude du journal intime – Le Journal intime, PUF, 1976 -, préférait à une définition de travail un nombre de questions et surtout une classification du journal. Il fallait donc comprendre que, entre journal de prison et journal de voyage, journal de maladie et journal de la drogue, journal spirituel et journal philosophique, journal littéraire (à la Léautaud) et journal d’une śuvre (à la Gide) ou encore journal des rêves, même si certaines constantes peuvent être constatées d’un auteur à l’autre, pour ne pas avoir de norme le pur journal intime n’existe pas.

Plus récemment, Philippe Lejeune, qui n’a cessé d’étudier le phénomène depuis la fin des années ’80, a toujours insisté, dans toutes ses publications, sur le fait vivant du journal intime qui est avant tout une pratique et une attitude d’écriture devant la vie. Le seul but déclaré de ses enquêtes reste « de faire voir le journal personnel dans sa complexité et sa variété, une solution parmi d’autres aux problèmes que tous, « diaristes » ou non, doivent affronter »30. Ainsi, dès le départ sa terminologie joue sur deux termes « journal intime » et « journal personnel », où le deuxième, moins subjectif, englobe et précise le premier – quelque peu teinté d’histoire et de préconceptions. Au fil du temps et des recherches, en passant par la situation contextualisée des jeunes filles au XIXe siècle ([0]Le Moi des demoiselles. Enquête sur le journal de jeune fille, Seuil, 1993), le journal personnel s’enrichit de diverses connotations : brouillon et herbier (Les brouillons de soi, Seuil, 1998), et plus récemment support média avec le journal sur ordinateur et sur Internet (« Cher écran… » Journal personnel, ordinateur, Internet, Seuil, 2000).

Il nous paraît important de reprendre ici la définition du journal-herbier qui n’est pas sans rappeler une pratique quelque peu désuète. Le critique tente de nous convaincre du contraire de la désuétude du moment où nombreux journaux d’hommes et de femmes d’âges différents, aujourd’hui encore, contiennent entre leurs feuilles les éléments extérieurs les plus variés, allant des photos, des lettres et d’autres documents jusqu’à des fleurs sèches, à des bouts de laine ou à l’emballage d’un bonbon. La fonction d’un tel journal serait d’« incorporer l’extérieur dans l’intime en rassemblant autour de soi […] des éléments du monde extérieur dont on a décidé de faire les signes de son identité ou les jalons de son histoire »31. Métaphoriquement, et certainement applicable à un plus grand nombre de journaux, l’on peut considérer le journal comme un herbier dans la mesure où « l’écriture dessèche peut-être mais conserve ce qu’on a décidé de « cueillir » »32. La matière du quotidien est ainsi soigneusement préservée par l’écriture.

 

 

1. 2. Problèmes et approches

 

1.2.1. Naissance et évolution d’un genre // l’histoire littéraire

En aucune manière nous ne voulons retracer une histoire du journal intime, sujet qui fournirait sans doute la matière d’une thèse de doctorat. Tout au plus essayerons-nous de dégager un schéma de trajet du journal à travers le regard que les critiques ont bien voulu lui prêter à des moments différents de son histoire.

Pour commencer, il faut tâcher de comprendre la position d’un Roger Caillois qui, en 1946, écrit deux articles extrêmement virulents contre le journal intime – « Journaux d’écrivains » et « Procès des journaux intimes » repris in Chronique de Babel, Denoël-Gonthier, 1981 – qui ne serait, selon lui, que l’expression d’un laisser-aller impardonnable. Parmi les nombreux reproches qu’il fait, notamment au Journal de Gide, nous allons retenir la récusation du journal comme genre, son manque de construction et l’absence de cohérence dans les idées, et le fait qu’en général le journal est à dédaigner vu que « ces miettes innombrables [qui] n’étant pas aliment ne rassasient aucune faim ». En se rapportant au livre de Jean Dutourd, Le Complexe de César (R. Laffont, 1946), très critique aussi, il poursuit les invectives : « Il me paraît que, plus que l’art, la vanité et la paresse trouvent ici leur compte. » et « L’esprit de surenchère et d’exhibition qui préside aux journaux intimes meurt de ses propres outrances. » L’on voit combien le point de vue de Roger Caillois est encore redevable d’une image traditionnelle de la littérature qui suppose une éthique – choix de sujets dignes et un effort de création – et le travail du style. Il ne reste pas moins vrai que ce même témoignage négatif laisse comprendre que le journal intime connaît une vogue incontournable au milieu du siècle.

Par conséquent, au XXe siècle il est impératif de relever le poids que le « genre autobiographique » dans sa totalité prend dans l’offre des écrivains ainsi que dans la demande du public. Jamais le besoin de l’aveu n’a été aussi considérable, à tel point que le genre en question ne s’est pas contenté de donner ses meilleurs exemples et les plus nombreux, mais a largement pénétré les modes et les techniques de la création proprement littéraire, c’est-à-dire fictionnelle. Véritablement, « il n’est pas d’écriture qui ne soit née, précisément, d’une conscience malheureuse, d’une tension, d’un intime conflit ou d’une irrésoluble contradiction, que l’écriture est le lieu où, loin de se dissoudre, s’affirment au contraire cette contradiction et cette blessure essentielles, et que c’est dans la mesure où il se voit plus rejeté, plus contesté, que l’écrivain de l’aveu pourra trouver une plus urgente incitation »33.

La critique anglo-saxonne a pris l’habitude de parler d’un genre autobiographique dans lequel elle englobe toutes les espèces possibles, allant des mémoires, (auto)biographies et autofictions jusqu’au journal, ce pourquoi il faut comprendre autobiography comme un terme générique pour toutes les écritures du moi. Toujours est-il que les Anglo-saxons prennent conscience très tôt de l’état d’évolution du genre diaristique. « The private diary, which tends to become the favourite genre of the twentieth century, voraciously absorbing the philosophical treatise and the novel itself, was born of the rage for sincerity which causes many modern devotees of literature furiously to burn their very idol, literature. »34 Reste indécidable si le journal intime détruit la littérature, devient littérature ou s’y substitue carrément englobant du même coup d’autres types de discours, notamment l’aphoristique comme le rappelle le même exégète.

Dans une étude sur la confession littéraire, Marcel Lobet situe le tournant décisif dans l’histoire de la littérature où le journal intime prit le dessus sur les genres de fiction au moment du Nouveau Roman qui en fut la cause, précisant que : « Dès lors il se pourrait que s’accroisse la faveur d’un autre genre littéraire qui traduit l’humaine imperfection avec plus de sincérité que le roman : le journal intime dans sa forme aiguë de confession. Parce qu’il se heurte, comme le romancier, au mur de l’indicible, l’auteur d’un Journal ne dit pas tout. Cependant il donne l’impression d’atteindre une vérité humaine que le roman le plus profond ne peut qu’effleurer. Un homme parle alors de lui-même sans déléguer ses pouvoirs à un héros, sans le truchement d’un porte-parole qui déforme toujours quelque peu le message dont il est chargé. »35

La relation entre fiction et journal intime, l’emprunt qu’elle en fait témoigne du rôle important que le journal a pris dans la modalité d’expression de l’écrivain autant que dans la conscience du public. A ce titre, La Nausée de Sartre paraît se convertir en la définition la plus parfaite du phénomène. Peut-être approche-t-on de plus près la théorie du journal intime dans un roman…

Ne serait-ce que pour la thèse monumentale d’Alain Girard ([0]Le journal intime et la notion de personne, PUF, 1963) qui, posant les assises de la forme du journal intime, d’une part établit que c’en est un genre littéraire et, d’autre part, ouvre la porte, ou bien une petite boîte de Pandore, à toutes les méthodes d’approche qui ont pu être abordées par la suite à propos du journal. Du point de vue historique, en plein XXe siècle, « nous sommes au moment où l’on passe du Journal intime au Journal tout court »36 et, nous voudrions ajouter ici que si la formule journal intime persiste ce n’est que par convention, car c’est un fait : la publication anthume est devenue monnaie courante.

Une autre thèse qui traite le corpus des journaux d’écrivains dans la première moitié du XXe siècle étaye cette même idée du passage du journal du domaine intime au domaine public : « en réconciliant la confidence et le témoignage, le journal du XXe siècle s’implante successivement dans le groupe de textes composés et écrits comme des śuvres littéraires »37.

Elisabeth Bruss reprend les propos d’un critique russe pour rappeler que « The very existence of a fact as literary depends on its differential quality, that is, on its interrelationship with both literary and extra-literary orders…. What in one epoch would be a literary fact would in another be a common matter of social communication…. Thus one has the literariness of memoirs and diaries in one system and their extra-literariness in another. »38 C’est précisément ce que Roger Caillois n’avait pas compris dans sa tentative de situer le journal dans un contexte littéraire qui était déjà révolu au moment de sa prise de parole. Nous l’avons vu, le journal intime appartenait déjà à un establishment de la littérature vers les années 1950.

Plus près de nous, nous le verrons plus en détail ci-dessous, Philippe Lejeune élargit beaucoup le champ d’étude du journal intime en le faisant sortir des cadres trop restreints de la littérature pour postuler qu’il est une pratique sociale et militant pour une approche plus ouverte, nous dirions d’un terme à la mode pour le moins interdisciplinaire.

Si dans les premiers temps de la prise de conscience du journal intime en tant que genre potentiel – son épanouissement parmi les écrivains du XIXe siècle – l’on a pu constater que c’en était un endroit privilégié pour confesser la mélancolie, il faut savoir que cette propension vers la méditation et le questionnement du monde et de l’être reste une constante dans la thématique du journal intime. A ceci près qu’elle prendra d’autres appellations à mesure que l’on avance dans le siècle de la vitesse.

 

1.2.2. La forme du journal // la poétique

Au-delà de sa vogue au XXe siècle qui l’a érigé au rang de genre, le journal intime reste difficile à circonscrire de manière rigoureuse. Ses quelques traits distinctifs – que l’on rappelle ci-dessous – ne suffisent pas à décrire une norme ou des conditions nécessaires et suffisantes qui pourraient le fixer. Deux raisons principales concourent à cette indétermination du journal comme forme de l’écriture. Premièrement, le journal en tant qu’expression d’un moi a autant de visages qu’il existe des diaristes – « le genre même du journal […] se décompose en autant de variétés qu’il y a des rédacteurs »39.

La deuxième raison ressort d’un fascinant débat entre Georges Poulet et Jean Rousset à propos de la thèse d’Alain Girard. Dans la mesure où il est tourné vers l’intériorité humaine et tente de la surprendre « le Journal intime sera la poursuite non pas d’un genre, d’une forme, mais de l’absence de forme qui est notre fond, notre profondeur intérieure »40. Or, précisément « cette informité en ferait par excellence une śuvre littéraire. Car cette informité profonde est celle de notre esprit. » ; il s’ensuit donc qu’« il y a une forme de l’informité ; c’est précisément ce que le Journal intime nous apprend »41. A notre sens, cette question relève d’une véritable aporie du journal intime : sa forme et son contenu étant indissociables on ne peut pas en discuter séparément. Il est fort utile de préciser dès maintenant à quel point la forme du journal est déterminée par les « habitudes, manies, jeux… » de l’auteur et combien la matière d’une notation est redevable au fait d’être enfermée dans une page de journal. Au bout du compte, il est vrai que le journal intime est la forme de l’informe psychologique car il « appartient au sujet lui-même, à la personne qui l’écrit, il fait corps avec elle, et ne peut en être détaché, il n’a rien d’un jeu ou d’une śuvre d’art »42.

Il faut à présent tenir la promesse et s’en tenir au plus simple : pour autant que le journal soit un genre dépourvu de contraintes formelles et prêt à accueillir entre ses pages le tout venant, il se caractérise par quelques éléments de base qui sont rappelés en début de tous les traités qui en parlent.

Comme son nom l’indique le journal intime est fait de notations journalières qui s’égrainent chronologiquement. Cette règle de la quotidienneté ne peut pas être prise très strictement vu qu’il relève de l’impossibilité physique et logique de s’y tenir constamment. Ceci pour dire que tout journal comporte des coupures, des périodes plus ou moins longues de silence. Le fait de marquer ponctuellement la date de la prise de note authentifie l’écriture comme transposition d’une réalité vécue qui appartient d’abord à une personne, qui accidentellement peut aussi être un écrivain. Il s’ensuit qu’il n’y aura pas de configuration du temps dans le journal – « le temps qu’il marque, c’est le temps de la réalité, pesant, sans rédemption » – et encore moins de structure narrative – « à mesure que l’intimité se creuse, l’événement se réduit, jusqu’au moment où il ne peut plus du tout fournir des éléments de structure du récit »43.

L’absence de construction, de toute charpente, du journal va de pair avec sa forme discontinue, premier élément caractéristique constaté par le lecteur. « La fragmentation, elle est la fatalité du genre »44. Nous avons déjà évoqué une certaine informité, nous reviendrons largement sur la question de l’écriture fragmentaire et ouverte que professe le journal.

Le discours appartient au « je » de l’auteur et rien qu’à lui. Le journal intime est par excellence, sans faute et sans exception, l’écriture de la première personne singulier. « Par ce « je » souverain, le journal acquiert même une unité que n’a pas le moi dont il est pourtant le support et l’inventeur. Si diverses que soient les réalités que le « je » recouvre, le mot reste toujours le même, douant l’individualité de l’auteur d’une apparence d’unité, rassurante peut-être, en tout cas, capable de douer à son tour les autres mots d’un sens … »45

Quant aux notions d’intime et de privé qui ont fait tant gloser les critiques, il faut, à notre sens, se tenir à l’idée que, indépendamment de ce que relate le diariste – choses et événements extérieurs ou encore sensations et idées tout intérieures -, le filtre de sa subjectivité s’interpose entre la réalité et sa notation. Ce qui compte au plus haut degré c’est la « réfraction dans sa conscience » de tout ce qui est pour lui perceptible. Certainement, un penchant vers l’introversion est à constater chez la majorité écrasante des diaristes, ce qui n’interdit nullement aux natures extroverties d’en tenir un qui ne saurait pour autant devenir un « journal externe ». Autrement on ne verrait plus très bien la différence entre un tel journal externe et une chronique ou registre de jour. La tentation est donc de convenir avec Béatrice Didier que « le mot « intime » n’ait guère été conservé que pour écarter toute équivoque avec le journalisme, mais qu’il charrie avec lui une connotation quelque peu désuète et d’un romantisme délavé, qui correspond certes à un aspect du journal, mais à un aspect seulement »46. On continuera de la sorte de parler de journal intime par convention sachant qu’il peut couvrir une large palette de sujets allant du plus intime au plus public.

Autre trait, paradigmatique à ce qu’il semble, du journal intime est sa capacité de s’examiner ; comme si le texte, à l’instar de son auteur qui scrute son moi pour le transcrire, aurait emprunté cette manière d’auto-réflexion. « Je pars de l’hypothèse que le journal s’écrit – et se lit? – autrement que tout autre texte et qu’il fournit lui-même une première clé de lecture par l’abondance de ses énoncés réflexifs; ce serait même un premier trait générique : le journal est un texte qui parle de lui-même, se regarde et se questionne, se constitue souvent en journal du journal. »47

En fin de compte, il faut retenir que tout journal présente une configuration qui lui est intime et que les tentatives de décrire une poétique de ce jeune genre, pour aussi nécessaires et louables qu’elles soient, doivent en tenir compte au plus haut degré.

 

1.2.3. Les règles du jeu – fonctions du journal // la poétique (suite)

Une première question qui se pose avec urgence est celle de savoir pourquoi écrit-on des journaux intimes, qu’est-ce qui les déclenche ? Tout comme on dit communément que « les gens heureux n’ont pas d’histoire », l’on peut affirmer qu’il n’y a pas de journal qui ne soit issu d’une crise, d’un moment de rupture dans le long fleuve tranquille de la vie. La démonstration n’est pas facile mais elle se tient. Le moi est relationnel, il ne peut se définir autrement ; le journal intime est l’écriture du moi. Par conséquent, le journal se définit par le rapport entre moi et le monde, or cette relation que chacun apprend à gérer à sa manière n’a besoin de se dire, de s’écrire, de se transcrire s’il n’y a pas un conflit à la base – « Normal conditions do not produce the journal intime; nor does success. »48 Principalement, le journal intime est une nécessité absolue, le moyen de libérer la personne.

Il faut, néanmoins, échapper à la détermination négative – pour beaucoup répandue par le modèle de l’humeur d’Amiel – du journal intime en tant qu’exutoire, qu’infirmité du pouvoir créateur, pis-aller en l’absence de l’śuvre. Faisant preuve de beaucoup de bon sens Jones propose la solution suivante : « If we substitute the idea of obstruction for that of affliction, we acquire a category which will cover the cases considered without being limited to their specific pathological reference. »49 Mais même ce terme d’obstruction n’est pas suffisant pour circonscrire la variété des inadéquations entre le moi diariste et autrui.

Il est souvent mieux de se tenir au plus général. A ce titre Béatrice Didier propose comme motivation de l’entreprise journalière, simplement, « le besoin d’écrire ». Nous dirions que ce besoin peut se particulariser selon qu’il est issu d’une situation spécifique (de crise) d’histoire personnelle ou d’ordre psychologique, ou bien issu d’une habitude professionnelle pour les écrivains ou encore du pur plaisir d’écrire.

Il s’agira maintenant de déceler, dans l’immense variété de synonymes que chaque critique fait l’effort de donner, les fonctions du journal intime selon un schéma qui soit suffisamment explicite.

 

Fonctions non-littéraires Fonctions littéraires
Thérapie Mémoire Réflexion

Exercice

Réservoir
– confident

– refuge matriciel

– décharge

– personnelle

– familiale

– de l’entourage professionnel

– sur soi

– philosophique

– religieuse

– de style

– croquis

– sujets et motifs

– anecdotes

 

En premier lieu, il y a les fonctions non-littéraires, pour ainsi-dire psychologiques, qui s’appliquent à tout journal, peu importe s’il est écrit par un professionnel ou non. Saute aux yeux la fonction thérapeutique de l’écriture intime. Le seul fait de s’exprimer par l’écriture semble soulager le diariste fixant le trouble ce qui permet un certain détachement. Philippe Lejeune insiste sur la connotation négative du terme thérapie qui induit que le journal serait une pratique maladive (idée véhiculée souvent, il est vrai) et propose d’appeler cette fonction « hygiène spirituelle » car « le journal est une pratique quotidienne qui aide à vivre, comme le font la prière ou la gymnastique »50. Selon les auteurs, le journal est un ami, confident, consolateur, conseiller, guérisseur, en tout cas partenaire de communication. « In all the cases we have mentioned, the Journal has become a confidant, sometimes a comforter and a consolation. This is a sentimental role, but its obscure raison d’être is remedial. […] The keeping of an intimate diary can become a kind of catharsis. »51

Il est aussi un refuge où le diariste est confiné par des circonstances peu accommodantes et en ce sens Béatrice Didier fait ressortir toute une série de métaphores du giron maternel. Quoi qu’il en soit, le journal finit par être le réceptacle de tout ce qui porte difficulté, douleur, mal d’être pour le diariste et en ce sens il devient une décharge qui délivre et apaise. L’autre versant qui répond à cette charge négative du journal intime sous un certain angle est le fait de ramasser tout ce qui dans une vie mérite d’être consigné pour la personnalité.

On en arrive donc à la fonction mnémonique. Le journal est dans une large mesure un aide-mémoire, un précieux outil contre l’oubli. Il en arrive à être un fourre-tout à force de contenir la diversité inimaginable des traces d’une vie. A ce titre, nous avons précisé dans le tableau, qu’il peut s’agir de notations qui tiennent des aspects les plus personnels qu’il faut garder pour mémoire ou encore de moments significatifs de l’histoire familiale. Allant encore plus vers le dehors, le journal en arrive à consigner aussi les faits relevants pour l’environnement socioprofessionnel du diariste et une forme particulièrement développée de cette fonction se retrouve dans les journaux littéraires type Goncourt ou Léautaud.

Enfin, le journal est le lieu privilégié de la méditation et de son expression. Dans le répit de la rédaction journalière, le diariste pose nombre de questions allant du plus intime au plus généralement humain, recouvrant des inquiétudes existentielles qui vont jusqu’à la réflexion philosophique, souvent sans même se rendre compte de l’amplitude de la problématique formulée. Certains parlent dans le journal d’« examen de conscience », terme qu’il faudrait peut-être élargir et voir le parcours qui mène à la conscience de soi. Au long de ce trajet, inévitablement, le regard intérieur amène des problématiques plus générales et élargit l’horizon car « l’observation intérieure est en définitive le principe actif »52.

De surcroît, sans nécessairement se particulariser comme journal spirituel, suffisamment de journaux posent le problème de la relation à la transcendance. D’une part confesseur des inquiétudes les plus intimes, d’autre part, solution de remplacement pour une foi perdue ou jamais trouvée mais ressentie comme possible et/ou nécessaire le journal intime ne manque pas d’interpeller la transcendance.

En deuxième lieu, il y a les fonctions littéraires ou esthétiques, le plus souvent retrouvables dans les journaux d’écrivains, mais aussi, pourquoi pas, dans les journaux d’artistes. Il s’agit ici de ce que si souvent on appelle d’un terme général laboratoire de l’śuvre. Le journal est le lieu pour exercer son style, espèce de discipline et d’entraînement dans les moments de basse créativité. « L’écriture quotidienne est un exercice propédeutique : comme les gammes du pianiste, elle entretient « le doigté littéraire », préparant au métier d’écrivain »53. Raison pour en parler négativement comme un pis-aller faute de produire autres types de textes.

Si du côté formel on peut parler de croquis dans les notes de journal, du point de vue du contenu on peut parler de « réservoir d’idées, de projets ; de thèmes qui seront utilisés ailleurs »54. Les éléments rassemblés peuvent être tout aussi bien déjà formatés pour une écriture à venir donc transformés, ou bien de l’ordre de la notation crue ou de l’anecdote vraie qui pourra par la suite faire l’objet d’une fictionnalisation. Quelque part, avec cette collection de sujets prêts à développer on revient à l’idée de registre pour mémoire, cette fois-ci dans l’ordre de la préoccupation professionnelle au point que l’on peut parler d’archivage. Le cercle est ainsi bouclé même si tout n’a pas été dit et ne saurait l’être.

Alain Girard préfère une conclusion synthétique à son chapitre sur les fonctions du journal intime en soulignant qu’au fond celles-ci se résument à une seule qui répond à la nécessité de l’individu « menacé dans ses assises les plus profondes », nommément que le journal « est la création de soi par soi »55.

 

1.2.4. Contenu // études thématiques

Sans donner de définition rigoureuse du journal intime l’article du même titre dans le Dictionnaire des śuvres du XXe siècle fait le point sur l’intérêt, le style et surtout « les pôles dominants » de ce type de texte. Ecartant de son intitulé l’adjectif « intime », trop évocateur d’une pratique de XIXe siècle bien révolue, on souligne que « si l’intimité ne figure plus qu’épisodiquement dans le titre, l’intimisme n’en constitue pas moins la trame essentielle. » Cependant, d’un ton généralisateur et pédagogique, on signale que « le contenu des journaux varie donc assez peu avec le temps, les thèmes obligés demeurent : la vie affective et personnelle, la vie sociale, la vie intellectuelle » ; il s’ensuit que « chaque journal accentue à loisir l’un de ces trois pôles dominants »56.

Une interrogation plus spécifique semble donc nécessaire pour délimiter le contenu de ce fourre-tout. « Existe-t-il une thématique propre au journal intime? A première vue, la réponse ne peut être que non. Ce genre, formellement très strict, admet n’importe quel contenu; on y parle de tout et de n’importe quoi, de l’insignifiant et de l’essentiel; la contrainte est nulle. Tout est suspendu au respect d’une condition formelle : la voix énonciative, la même du commencement à la fin, qui dit je et ne peut dire que je et maintenant. »57 Cependant, le même critique rappelle la qualité de cette trame insaisissable du journal qui tient beaucoup de l’éphéméride étant « l’inscription de la sensation brute, de la notation prise sur le vif, de tout l’instantané dont se tisse une journée, c’est souvent ce qui s’oublie du jour au lendemain, ou du moins perd sa saveur »58.

De manière générale, le journal recouvre le quotidien et en tant que tel devient le registre minutieux de la vie. « Le journal épouse le fil de l’existence; il ne recompose pas le cours d’une vie; il n’est pas une anamnèse (une évocation volontaire du passé) mais le patient et méticuleux recensement d’une vie au jour le jour; il ne va pas du présent vers le passé mais se réalise dans l’instant de l’énonciation plus ou moins instantanée; et même s’il utilise la médiation de l’écriture, il prend racine dans l’immédiateté. »59 Cette situation est le lieu délicat où le journal commence à se confondre avec la vie, s’y substituer parfois, ou encore à prendre les traits de son auteur, bizarre inflexion qui confond corps du texte avec psyché du diariste.

Au-delà des considérations générales et bien vagues comme on vient d’en voir, certains critiques sont allés au plus particulier mais pour démontrer combien le contenu du journal intime dépend d’un contexte singulier, soit historique et social, soit personnel.

Alain Girard, par exemple, montre que, à force d’être les observateurs d’une réalité qui change à peine, les diaristes touchent de manière générale à des thèmes récurrents, on serait tenté de dire des clichés : « la fuite du temps, la difficulté de communiquer avec autrui, l’amour impossible, l’échec de leurs ambitions, la place infime qu’ils occupent parmi les autres, la mort qui guette. Tous thèmes éternels de l’inquiétude humaine, mais sentis et repris dans une perspective nouvelle. »60

Par un autre type d’approche, des études plus ponctuelles sont pratiquées telle la thèse de Michel Braud La Tentation du suicide dans les écrits autobiographiques, 1938-1970 (PUF, 1992) qui fait une large part au journal intime et à l’expression de la perte du sens, du malaise de vivre, et de la quête qu’il vient à illustrer entre 1930-1970.

Ces mêmes connotations négatives de la thématique du journal semblent frapper Béatrice Didier quand elle parle de la propension vers Thanatos d’une majorité de diaristes. « Le journal consigne la mort, la mort des autres, les progrès de la mort chez le diariste, et même s’il semble aborder d’autres sujets, c’est toujours la mort son centre, sa seule préoccupation, puisque ce genre littéraire repose uniquement sur l’inscription du sens »61. L’on voit que la théoricienne semble trouver indissociable le contenu du journal de sa mise en forme, raison sans doute pour elle de privilégier l’approche du journal à partir d’un aussi grand nombre de grilles de lecture que possible, entre autres la sociocritique et la psychanalyse.

En matière de thèmes et sujets de prédilection dans le journal intime, la seule entreprise qui est envisageable est de tenter certaines comparaisons entre les diaristes d’une même génération. Si elles ne tiennent pas de l’universel humain, les seules constantes dans les notations journalières peuvent ressortir de contextes extérieurs communs et de préoccupations similaires à un même moment.

 

1.2.5. Le destinataire du journal // théorie de la lecture

Aussitôt posé que le journal est un genre de par le fait de sa publication en tant que livre (cf. supra), la problématique de sa destination et de sa réception se font jour. Ces deux volets de la théorie de la lecture trouvent quelques considérations, minces il est vrai, chez les critiques qui se sont penchés sur le journal.

D’un point de vue quelque peu traditionnel et sachant qu’il n’y a pas de geste énonciatif sans l’arrière-pensée d’un récepteur, on insiste sur le fait qu’il y a toujours un destinataire pour le moins virtuel : « Le journal est enfin une vaste correspondance avec un inconnu, le lecteur futur, improbable et certain à la fois. »62

La critique anglo-saxonne a su mieux systématiser cette perspective dans les cadres d’une théorie communicationnelle. Par principe et de manière générale : « Surrounding any text are implicit contextual conditions, participants involved in transmitting and receiving it, and the nature of these implicit conditions and the roles of the participants affects the status of the information contained in the text. Literature as well as « ordinary language » (if that spurious distinction may be allowed to stand for the moment) has its « illocutionary » dimension. […] Just as speaking is made up of different types of action carried out by means of language, the system of actions carried out through literature consists of its various genres. »63

Quant au genre autobiographique dans sa totalité, les choses semblent se compliquer « by the fact that autobiography is an act of communication, and that the readers who look on as the autobiographer explains himself have their own explanations and impressions of the writer. […] Every autobiographer must face the possibility that he is tacitly in competition with his audience, although he may not confront the problem directly or might assume that there is perfect agreement and sympathy. Perhaps he even tries to establish agreement by voluntarily assuming the perspective of his own reader. Yet there is no certainty that his willed disinterest will coincide with the genuine interest off his audience… »64 Nous constatons qu’un jeu très compliqué des lectures s’installe entre cet auteur qui se moue en lecteur et un lecteur qui croit connaître l’auteur-personnage intimement du fait du pacte autobiographique.

Concernant de manière spécifique le journal intime le propos de Jean Rousset tente de mettre un peu au clair cette situation bien ambiguë. Dans un article devenu canonique – « Le Journal intime, texte sans destinataire ? » in Poétique, n° 56, 1983 – il ébauche une échelle ascendante de l’ouverture du journal vers un destinataire. Ainsi, du premier degré de fermeture qu’est la pure auto-destination, passant par la pseudo-destination à un allocutaire virtuel, rhétorique dirions-nous, on passe vers l’ouverture, réduite d’abord à un lecteur/destinataire privé (l’exemple est celui des journaux conjugaux) puis tout de suite maximale par la publication. En réponse à cet article Mireille Calle-Gruber envisage le problème par le biais de la textualisation du destinataire « qui le situerait en tant que fonction dans le schéma de l’échange discursif et permettrait d’étudier son rôle dans l’économie du texte ». L’intention d’attirer le journal intime vers l’espace littéraire où se jouent toutes les mises en scène discursives et les modalités de la fictionnalisation des auteurs comme des destinataires est suffisamment transparente. Toujours est-il que la conclusion profite au journal dont la spécificité serait le « curieux rapport entre un artifice exacerbé de la communication, d’une part, et, d’autre part, un effet de réel singulièrement efficace »65.

Pour revenir à la réalité du journal en tant que livre il faut se demander quel est le profil de son destinataire réel. Est-ce qu’il y a un public, un horizon d’attente spécifique pour ce genre d’écriture ? A part le constat très général de la vogue du journal et les statistiques de vente des maisons d’édition nous n’avons pu retrouver que deux indications en guise de réponse à cet aspect de la réception.

Elisabeth Bruss met en évidence le fait que le goût contemporain va vers le journal intime en tant que témoignage d’une construction identitaire : « As a culture, we have not yet lost our appetite for seeing how individuals go about constructing their experiences from the inside, what resources they bring to the task, and what we might appropriate from them or learn by their example to avoid. »66

Selon Philippe Lejeune, le journal intime par son développement et le statut d’śuvre à part entière vers lequel il tend a pu entraîner dans sa course la naissance d’un nouveau type de lecteur : « une nouvelle race de lecteurs est apparue : curieux et patients, ils aiment à se couler dans la vie d’un autre, ils apprennent à lire entre les lignes, et ils savent qu’un journal est comme un bon vin : il lui faut du temps pour développer tous ses arômes »67.

Il faut croire donc que l’intention de l’écrit intime est rencontrée par un besoin de lecture. Le vécu quotidien transposé dans le journal n’a de sens que s’il est partagé : diaristes et lecteurs se retrouvent devant une même nécessité.

 

1.2.6. Journal manuscrit versus journal publié // génétique

Cette problématique est amenée en première instance par le développement historique du journal : « nous sommes au moment où l’on passe du Journal intime au Journal tout court […] Il n’y aura peut-être plus, à proprement parler, de Journal intime, dans la mesure où l’écrivain […] a l’arrière-pensée, de plus en plus présente, de le publier. »68 De nos jours, non seulement la publication d’un journal est envisageable mais certaine, voire préétablie avant son écriture.

La primauté du journal publié est mise en évidence aussi par Jerzy Lis mais bien plus que cette thèse il nous livre un aperçu très intéressant sur les paratextes du journal, en l’occurrence sur « le discours préfaciel »69. Une explication sur la composition du livre journal semble être requise par le genre même. Non seulement le préfacier, qui se trouve être assez souvent celui qui édite à vrai dire le texte, fournit les détails des suppressions ou ajouts et de manière générale toutes les informations liées au choix du texte et à la mise au point de l’édition, mais aussi l’histoire de son écriture. A commencer par les étapes de la rédaction, avec dates, saisons et années, justifiant les lacunes ou les silences par des événements de la vie du diariste ; continuant par les particularités matérielles du support manuscrit, telles le format, la qualité, la texture, la couleur du cahier ou des feuillets ; achevant sur les anecdotes ou la légende où c’est le cas, liées à l’histoire et à la transmission du manuscrit, le travail de l’éditeur/préfacier est laborieux et suppose des investigations poussées. Non en dernier lieu, après la mise en contexte du manuscrit, le préfacier avance sa propre définition de ce genre et à travers des comparaisons avec d’autres textes similaires il souligne l’unicité du journal intime.

Philippe Lejeune attaque frontalement la « Genèse du journal » lui consacrant un chapitre entier dans son ouvrage Les Brouillons de soi. Il l’avait déjà dit ailleurs, « De même qu’une transcription laisse s’évaporer la voix, l’impression perd une bonne part de ce qu’exprime un cahier manuscrit. […] Il y a incompatibilité d’humeur entre le journal et la forme livre. Editer un journal, c’est vouloir faire entrer une éponge dans une boîte d’allumettes. »70 Par conséquent, « l’étude génétique d’un journal semble, par définition, sans objet. Un journal, si c’est un vrai journal, n’a pas d’avant-texte. »71 Dans cette situation et avant d’envisager les conséquences qu’entraîne la publication, le critique propose une solution qui ne tient qu’au journal : puisque le deuxième terme de la comparaison manque, il est possible de comparer le journal à lui-même, c’est-à-dire de comparer entre elles les entrées quotidiennes, de suivre les changements à l’intérieur de ces unités de structure. De la sorte, « le journal permet de voir sur le vif comment une écriture s’engendre elle-même par répétition (la tendance à l’auto-imitation est très forte) ou par variation ».

Tout ceci restant vrai, le fait de la publication d’un journal entraîne la possibilité de la comparaison entre manuscrit et édition, d’autant plus que rarement arrive-t-on à respecter le journal en tant que texte au même titre qu’un roman ou un poème. « Dès qu’on envisage une publication, le texte du journal n’apparaît plus que comme un avant-texte, un brouillon qu’il convient d’achever, un infirme qu’il faut aider à faire sa toilette. »72 Dans l’impossibilité de changer cette pratique courante en ce qui concerne la publication de journaux soit par l’auteur lui-même soit par un éditeur, Philippe Lejeune entreprend une étude des procédés de réécriture dans une optique toutefois renversée « en considérant le travail effectué comme une destruction et en valorisant le point de départ »73.

A ces deux possibilités d’approche du journal qu’ouvre la génétique s’ajoute une troisième, que Lejeune évoque également mais sans l’adopter, celle que l’on appelle communément atelier de l’śuvre et où l’on voit le journal comme avant-texte des autres écrits.

Dans cette perspective très limitative, Gérard Genette classifie le journal intime comme « épitexte intime » aux côtés des avant-textes et l’assujettit de la sorte à la seule fonction de laboratoire de l’śuvre proprement dite. Il semble impensable d’avoir un journal pour l’amour du journal et une telle idée ne mérite pas l’analyse. Ainsi le journal intime est réduit à un outil dans des études génétiques et encore reste-t-il défaillant car « bien des écrivains considèrent leur journal plutôt comme un complément, voire un dérivatif à cette śuvre, et y notent de préférence, « intimes » ou non, les événements extérieurs à leur travail »74.

Pour conclure sur ce point, il ne nous reste qu’à adhérer au dernier mot de Lejeune : « C’est surtout le rapport très spécial que le journal entretient avec le temps et avec la vérité qui le soustrait aux études génétiques : il est sa propre genèse. »75

 

1.2.7. L’apport de la sociologie et de la psychologie

Nous avons pu constater, avec Philippe Lejeune, que le journal intime est loin d’être le seul apanage de la littérature, bien au contraire, en tant que pratique et attitude devant la vie il se situe en quelque sorte au carrefour d’un regard interdisciplinaire que partagent plusieurs sciences humaines. La sociologie et la psychologie semblent tirer un maximum de profit de l’étude des journaux intimes.

Sans entrer dans le détail des techniques sociologiques rappelons toutefois l’essor renouvelé, issu d’une nécessité de récupération imposée par la société post-industrielle, que connaissent les récits de vie précisément au tournant des années ’70-’80 en tant que « matière première d’une science sociale transdisciplinaire »76. L’histoire de l’individu devient exemplaire pour tout un groupe ou aide à mieux définir des types sociaux.

Mettant sur pied d’égalité narrateur autobiographe et diariste, car le même besoin de se dire est à l’śuvre pour l’un et pour l’autre, les sociologues soulignent le danger de la « retouche », de la distorsion de la vérité. Certes, pour le littéraire, la vérifiabilité des faits et gestes est un souci de second ordre. Et si « toute la quotidienneté de l’existence est conditionnée par ces phénomènes de mi-sincérité, l’occultation du réel (totale avec l’effet de blocage, partielle avec l’effet d’écran) est sans doute l’aspect le plus important de l’appréhension du réel »77 il ne reste pas moins vrai que c’est spécialement cette vision personnelle du diariste, « sa » vérité toute limitée qu’elle peut être qui nous intéresse en tant que lecteur de journal.

Plus ponctuellement, la question du journal intime vu par la sociologie est abordée par Malik Allam dans son ouvrage Journaux intimes. Une sociologie de l’écriture personnelle (L’Harmattan, 1996) préfacé par Philippe Lejeune. Plusieurs aspects méritent d’être retenus. Le journal intime est avant tout « le support d’une pratique d’écriture personnelle » et en tant que tel la seule lecture ne suffit pas à la compréhension et à la mise en perspective sociologique de cette pratique. Ce pourquoi l’on préfère l’enquête sociologique comme instrument de travail à appliquer à l’ensemble des écritures personnelles qui représentent un phénomène culturel qui s’hypostasie différemment dans l’histoire. Les réflexions proprement sociologiques qui découlent de l’étude d’un corpus de journaux intimes de gens ordinaires montrent que « par la réflexion menée dans son journal, l’individu change, invente ou fait varier ses modèles de réaction et d’action, ses représentations du monde social » et ceci participe « à la base du changement social ». Autrement dit, l’individu participe « à la définition de la vie sociale par le travail sur sa propre vie ».

Un éclaircissement utile nous est apporté relatif au journal intime vu comme une écriture de la crise dans la mesure où l’étude sociologique relève une fréquence significative « des situations de déséquilibre, où les personnes sont confrontées à la nécessité de produire de nouvelles représentations capables d’entrer en cohérence avec leur réalité sociale et affective du moment ».

Comme le sociologue l’admet lui-même, il est difficile de faire le partage avec ce qui appartient au travail du psychologue. Il est peut-être temps de voir quelle est la contribution de cette autre science humaine à l’exploration du journal intime. C’est sans doute facile à deviner, ce qui peut intéresser au premier chef le psychologue/psychanalyste est la fonction thérapeutique du journal personnel.

A ce sujet, qu’il a traité dans plusieurs articles, Guy Besançon conclut ainsi : « de nombreux critiques ont souligné que l’écrit intime s’adressait en fait à un interlocuteur idéal, en partie fantasmatique et en relation avec l’histoire propre du sujet. […] Il a sans doute pour son auteur une certaine fonction thérapeutique, celle de l’écriture, de la catharsis notamment au niveau de la dimension dépressive qui nous a paru constamment présente […] mais les conditions mêmes dans lesquelles il s’élabore, le solipsisme dans lequel est enfermé son auteur, limitent inéluctablement les modifications profondes du Moi plutôt que d’ébranler les résistances, élément indispensable à un véritable changement, les renforcent plutôt. »78 L’issue du journal paraît donc plutôt pessimiste, car en dépit du destinataire présumé – élément nécessaire du transfert apud Freud – les autres caractéristiques de ce type d’écriture empêchent les virages décisifs de la personnalité, d’où peut-être aussi l’impression de rabâchage que l’on a souvent. Reste, comme pour toute littérature dirions-nous, l’effet de la catharsis des premiers temps de notre culture qui opère en égale mesure sur l’auteur et ses lecteurs quasi inévitables.

Mais, de par sa définition, on attend du journal moins un effet spectaculaire que la simple constance en tant que pratique. N’étant pas śuvre, il n’est pas censé faire un carton, il suffit qu’il existe tout simplement. C’est un constat : « Pour affronter la souffrance inhérente à l’état de crise, quelle que soit la nature de cette crise, pour combattre le doute, l’angoisse, le désespoir ou le vide intérieur qui lui sont fatalement associés, une catégorie d’individus, sans distinction d’âge ni de sexe, décident spontanément d’entamer leur journal. »79 Par la suite, il revient au moi de se déployer quotidiennement sans autre attente ni de la part du diariste, ni de la part de son éventuel public. En bref, « Au centre du journal intime, le « je » irréductible qui en assure l’unité se contemple dans ses pensées, ses émois et ses opinions. En quête de son identité, il s’interroge, mû par la nécessité impérieuse de trouver ses raisons de vivre et de découvrir un sens à sa destinée. »80

1. 3. Questions laissées en suspens. Ouvertures. Nécessités

 

Si l’on peut parler de journal intime d’un bout à l’autre de son histoire et de sa diversité à un moment donné c’est aussi parce qu’il est devenu un genre car « il est probable que quelque chose s’est modifié en lui, et que ses fonctions se sont déplacées, comme il advient de toute institution vivante, sans que pour autant ses traits fondamentaux aient disparu »81.

Plus encore, « le journal intime est donc une mode. Il est parmi beaucoup d’autres, un fait de civilisation qui définit notre époque, et qui concerne chacun d’entre nous, intimiste ou non. » Sa paradoxale vocation d’universalité vient précisément de sa substance qui ne cesse d’être « dans un monde désacralisé, déshumanisé peut-être, l’individu [qui] s’interroge autant que jamais sur son destin, et découvre ce que nous appelons aujourd’hui l’angoisse et l’absurde »82.

Dans pareil contexte, nous estimons qu’une des premières nécessités qu’impose l’étude du journal intime est de poser le cadre de son état actuel ; voir s’il garde toujours cette vocation universelle et repérer le message du temps qu’il charrie. Autrement dit, l’histoire littéraire doit poursuivre l’Histoire et tenter sans doute un élargissement de sa vision et de ses outils. Pour beaucoup, les recherches de Philippe Lejeune vont précisément dans ce sens dans une tentative de surprendre l’authentique journal de Monsieur/ Madame Tout-le-monde et éventuellement d’archiver le plus grand nombre de manuscrits possibles. Le lettré avec ses préconceptions de littérarité de l’écrit intime semble donc banni d’une telle démarche au profit du socio-historien.

Cependant, en faisant le point sur ses propres recherches autour du journal intime étalées sur une dizaine d’années, Philippe Lejeune avoue « mon enquête a donc un côté réactionnel » pour avoir constaté que « le journal est un marginal, sans domicile théorique fixe. On lui fait rarement l’aumône d’une étude. »83 Son expérience lui permet de fournir bon nombre d’ouvertures et de pistes de recherche, mais il choisit d’en souligner une : « c’est un champ immense, encore peu exploré, en particulier dans le domaine de la poétique ». Or, au risque de le répéter, l’approche littéraire du journal est la plus difficile car la moins rigoureuse du fait de sa nature complexe et pour le moins ambiguë : texte en tant que reflet d’une psyché.

Tout en gardant à l’esprit la difficulté, pour ne pas complètement entraver cette voie disant l’impossibilité, d’une poétique de l’informe et de la non-śuvre que le journal intime continue à illustrer il faut regarder de plus près ses mécanismes de construction et de fonctionnement. Il faudrait sans doute tenter de déchiffrer, cas par cas, si des techniques et des figures proprement littéraires ne sont pas à l’śuvre dans le journal comme dans n’importe quel type d’écriture. A ce titre il nous semble important de repérer l’usage de l’intertextualité dans les écrits intimes. C’est un sujet qui n’a pas été abordé si ce n’est pour la définition étrange et restrictive de l’autobiographie en tant qu’« autobiocopie » du même Philippe Lejeune. Nous nous étonnons également du peu d’analyses sur le style diaristique notamment marqué par la répétition et souvent par la profusion de leitmotive personnels. Chaque diariste pourrait être libellé en fonction d’un refrain qui combine l’obsession personnelle avec une formule, figée en général ou comportant un minimum de variations. Ces quelques questions et bien d’autres qui ne nous sont pas venues à l’esprit nécessitent une large étude appliquée sur les textes, preuve que le poéticien a encore du pain sur la planche.

Dans la lignée d’une étude fort intéressante et riche dont le but était « de proposer une géographie de la pensée suicidaire, entre 1930 et 1970 environ, dans le cadre autobiographique »84, il serait sans doute utile de dresser des cartes thématiques similaires qui pourraient regrouper sur un axe vertical les récurrences dans les journaux d’une même époque en dépit de, ou remédiant au foisonnement sur l’axe horizontal des thèmes abordés par chaque journal. Ce serait sûrement le lieu de retrouver, s’il y en a, les constantes universelles dont il a déjà été question.

En matière de destination du journal et coutumes d’écriture, dans son ouvrage de synthèse, Jerzy Lis propose une idée fort intéressante qui mériterait d’être reprise et vérifiée pour un plus grand nombre de journaux et pour des époques différentes. Mettant en avant la pratique des diaristes-lecteurs de la première moitié du XXe siècle qui lisent beaucoup de journaux, tant antérieurs qu’appartenant à des confrères, le critique signale que « vus sous l’angle de modèle à suivre, les journaux sont lus par les écrivains avec l’intention d’alimenter leur propre texte. De nombreuses réflexions faites par les autres reflètent exactement les idées du lecteur et, grâce à la précision de jugements, elles contribuent à l’élaboration d’un savoir-faire diaristique qui n’est pas sans conséquence pour l’évolution du genre »85. Cette pratique de lecture est doublée, selon le même critique, chez les plus hardis des diaristes, par la destination du leur à quelques lecteurs privilégiés. Il y en a qui font lire des fragments de leurs journaux et en parlent ouvertement : « l’instauration de l’échange professionnel démythifie ce type d’écriture, réconforte les interlocuteurs et confirme que la tenue du journal importe autant que la création d’autres śuvres »86. La littérature roumaine contemporaine connaît un phénomène similaire, dans les années ’70-’80, au sein de l’Ecole de Tîrgoviste – appellation d’un cercle d’écrivains qui ont partagé un certain nombre de principes communs d’écriture dans la fiction comme dans la tenue du journal. Une pareille démarche poïétique peut fonctionner mais uniquement dans un cadre restreint et sur des plages spatio-temporelles réduites car, telles les relations endogames, cette manière de procéder ne peut avoir d’autre issue que l’épuisement et la mort du genre.

La relation entre le texte du journal et sa pratique et, de manière plus générale encore, de l’attitude et la manière de vivre du diariste semble incontournable et l’on voit à quel point avec le journal intime on se trouve réellement devant un fait de civilisation. Il est intéressant comment un sociologue a pu déboucher sur la nécessité de l’étude des textes en vue d’une analyse qui empruntant ses outils à plusieurs sciences humaines reste à définir.

Suite à son enquête sur les journaux intimes, le sociologue Malik Allam indique quelques ouvertures vers des études sur texte, opposées à la sienne, qui pourront enrichir la compréhension du phénomène appelé journal. Ainsi, serait-il utile de « chercher les liens entre les formes d’écriture (types de récits, de discours, articulations autour de quelle thématique ?) et la culture dans laquelle se situent leurs auteurs » ; il estime également qu’ « une étude sur les textes et les représentations du monde contenues en eux pourrait préciser les correspondances entre type d’écriture et type de situation favorisant l’écriture »87. Mise en contexte, repérage de la weltanschauung, liens thématiques et formels entre écriture et vie sont autant de problématiques que le journal intime soulève sans égard au type d’étude qui est supposé l’encadrer.

A la lumière de ces quelques remarques, il faut par conséquent assumer la difficulté et les limites d’une lecture des journaux intimes contemporains avec les outils du littéraire que nous sommes et conclure sur cette simple mise en garde.

 


28 Béatrice Didier " Les écritures du moi " in Précis de littérature européenne (sous la direction de Béatrice Didier), Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 455.
29 Ibidem, p. 458.
30 [0]Philippe Lejeune, " Cher cahier... " Témoignages sur le journal personnel, Paris, Gallimard, 1990, p. 28. 
31 Philippe, Lejeune, Les brouillons de soi, Paris, Seuil, 1998, p. 369.
32 Ibidem, p. 367.
33 Jacques Borel, " Problčmes de l'autobiographie " in Positions et oppositions sur le roman contemporain, Actes du Colloque organisé par le Centre de Philologie et Littératures romanes de Strasbourg, Paris, Klincksieck, 1971, p. 89-90.
34 Henri Peyre, Literature and Sincerity, New Haven & London: Yale University Press, Paris: PUF, coll. Yale Romanic Studies - Second Series 9, 1963, pp. 210-211.
35 Marcel Lobet, Ecrivains en aveu. Essais sur la confession littéraire, Bruxelles: Brepols, 1962, p. 10. 
36 " Discussions " in Cahiers de l'Association internationale des études françaises [0]: " Le journal intime ", n° 17, Paris, " Les Belles Lettres ", mars 1965, p. 273.
37 Jerzy Lis, Le journal d'écrivain en France dans la premičre moitié du XXe sičcle. A la recherche d'un code générique, Poznan, Wydawnictwo Naukowe UAM, 1996, p. 24.
38 [0]Elizabeth W. Bruss, Autobiographical Acts : The Changing Situation of a Literary Genre, Baltimore and London, Johns Hopkins University Press, 1976, p. 5.
39 Alain Girard, " Le journal intime, un nouveau genre littéraire ? " in Cahiers de l'Association internationale des études françaises [0]: " Le journal intime ", n° 17, Paris, " Les Belles Lettres ", mars 1965, p. 107.
40 Georges Poulet, " Discussions ", art.cit., p. 270.
41 Jean Rousset, " Discussions ", art.cit., p. 271.
42 Alain Girard, art.cit., p. 100.
43 Béatrice Didier, Le Journal intime, Paris, PUF, 1976, p. 160.
44 Jean Rousset, Le Lecteur intime. De Balzac au journal, Paris, Corti, 1986, p. 159.
45 Béatrice Didier, op.cit., p. 155.
46 Ibidem, pp. 8-9.
47 [0]Jean Rousset, op.cit., p. 155.
48 Percy Mansell Jones, French Introspectives from Montaigne to André Gide, Cambridge, Cambridge University Press, 1937, p. 94.
49 Ibidem, pp. 100-101. 
50 Un Journal ŕ soi, ou la passion des journaux intimes, catalogue [0]d'exposition établi par Philippe Lejeune avec la collaboration de Catherine Bogaert, Lyon, Association pour l'Autobiographie et le Patrimoine autobiographique et Amis des Bibliothčques de Lyon, 1997, p. 12.
51 Percy Mansell Jones, op.cit., p. 94.
52 Alain Girard, op.cit., p. 536.
53 Jean Rousset, op.cit., pp. 172-173. Cette męme idée, y compris la formules " faire ses gammes " se retrouve chez Alain Girard, loc. cit.
54 Béatrice Didier, op.cit., p. 19. 
55 Alain Girard, op.cit., pp. 542-543.
56 Dictionnaire des śuvres du XXe sičcle. Littérature française et francophone, sous la direction de Henri Mitterand, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1995, p. 252.
57 [0]Jean Rousset, op.cit., pp. 217-218.
58 Ibidem, p. 162.
59 Jean-Philippe Miraux, L'Autobiographie. Écriture de soi et sincérité, Paris, Nathan, 1996, p. 13.
60 Alain Girard, art.cit., p. 103.
61 Béatrice Didier, " Le journal intime : écriture de la mort ou vie de l'écriture " in La Mort dans le texte, sous la direction de Gilles Ernest, colloque de Cerisy, Paris, PUF, 1988, p. 145.
62 Béatrice Didier, " Les écritures du moi " in Précis de littérature européenne (sous la direction de Béatrice Didier), Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 461. 
63 Elizabeth W. Bruss, op.cit., pp. 4-5.
64 Ibidem, p. 170. 
65 Mireille Calle-Gruber, " Journal intime et destinataire textuel " in Poétique, n° 59, 1984, pp. 390-391.
66 Elizabeth W. Bruss, op.cit., p. 163. 
67 Un Journal ŕ soi, ou la passion des journaux intimes, catalogue [0]d'exposition, éd. cit., p. 13.
68 Alain Girard, art.cit., p. 273.
69 Jerzy Lis, op.cit., pp. 178-189.
70 Philippe Lejeune, " Au pays du journal " in Nouvelle Revue française [0]: " Le Journal intime ", n° 531, Paris, avril 1997, pp. 53-54.
71 Philippe Lejeune, Les brouillons de soi, éd. cit., p. 317.
72 Ibidem, p. 323.
73 Ibidem, p. 327.
74 Gérard Genette, " Journaux intimes " in Seuils, Paris, Seuil, 1987, pp. 358-359.
75 Philippe Lejeune, op.cit., p. 330.
76 J. Poirier, S. Clapier-Valladon, P. Raybaut, Les récits de vie. Théorie et pratique, Paris, PUF, 1983, pp. 13-21.
77 Ibidem, p. 58.
78 G. Besançon, " Remarques sur la fonction autothérapeutique du journal intime " in Psychologie médicale, vol. XIX, n° 9, septembre 1987, p. 1505.
79 Claude Bonnafont, Ecrire son journal intime, Paris, Retz, 1982, pp. 12-13.
80 Ibidem, p. 16.
81 Alain Girard, art.cit., p. 104.
82 Ibidem, p. 103.
83 Philippe Lejeune, " Tenir un journal. Histoire d'une enquęte (1987-1997) " in Poétique n° 111, Paris, septembre 1997, p. 375.
84 Michel Braud, La Tentation du suicide dans les écrits autobiographiques, 1938-1970, Paris, PUF, 1992, coll. Perspectives critiques, p. 12. 
85 Jerzy Lis, op.cit., p. 69.
86 Ibidem, p. 81.
87 Malik Allam, Journaux intimes. Une sociologie de l'écriture personnelle, Paris, L'Harmattan, 1996, p. 227.