Samuel RUFAT
ABSTRACT
« Residential complexes » have appeared in Roman ia in the last decade, after the inauguration of
the « French Village » in 1994, and share as comm on features the importance given to safety and
comfort, as well as a price granting an « among our own kind » of the city elite. The first project
has created a chain effect that has accelerate d since 2001-2002 and that, according to the space
aggregation process, leads to the creation of two poles of gated residences in the North-Eastern
part of the capital. The concentration of these new real estate products is explained by the strive
to maximize the asset of site and situation, which underlines a significant renewal in the 90s of the
North-South bipolarization of the capital, name ly in terms of residential segregation. This
organization makes us question the choice dynamics of the among our own kind, of imitation of a
foreign elite and conjunction of urban advantage s, in as much as it produces strange paradoxes:
these gates neighborhoods are not isolated, but in direct contact with the center of the town, the
main axes and the new poles, and the gate does not separate from unwanted visitors but rather
from the neighbor complex. However, the development of the market leads to a diversification of
offer, and an incipient hierarchy among gated residences, which lead us to question the role of the
gate in its tension between the « living together » and urban fragmentation.
Les « complexes résidentiels » qui ont fait leur ap parition à Bucarest et dans la presse roumaine
sont sans doute l’aspect le plus apparent et le plus spectaculaire du phénomène de ségrégation
résidentielle qui s’est (re)développé au cours de s années 1990. La mise en place d’une mutation socio-
spatiale de la capitale depuis la libéralisation du sol et du marché de l’immobilier est encore assez peu
étudiée1, et l’expansion des phénomènes de clôture et de privatisation, par ses aspects tangibles et
l’importance croissante que lui accorde la presse, peut sembler une bonne porte d’entrée.
En 2003, 27644 autorisations de construire ont été délivrées à Bucarest pour des bâtiments
d’habitation (selon l’Institut National de Statistique), dont près de 97% pour des logements individuels et
moins de 3% pour des « complexes résidentiels ». Mais ces « complexes résidentiels » ont pris une
importante croissante dans la presse, où ils sont alternativement décrits comme « microquartiers de
riches » (Jurnalul National, 13 mars 2004), « maisons de luxe » (Cotidianul, 27 mars 2004), « ensembles de
luxe » (Capital, 6 avril 2004), « quartiers de luxe » ( Evenimentul Zilei , 24 avril 2004). Ces articles
soulignent l’ampleur de l’emprise spatiale de ces nouvelles zones résidentielles, la demande croissante,
ainsi que l’accélération des dynamiques du marché et des constructions. Mais en fait, ils mélangent des
produits immobiliers sensiblement différents sous le terme de « complexe résidentiel », des petits
immeubles (Washington Résidence) aux vastes « résidences fermées » développées par la société Impact
SA en passant par les petits groupes de villas, sim ples ou en duplex, en location ou en vente. Le
dénominateur commun de ces « complexes résidentiels » est l’importance accordée à la sécurité et au
confort, ainsi qu’un prix qui garanti « l’entre-soi » de l’élite urbaine.
1 Mis à part l’étude portant sur le centre ville de Liviu Chelcea, 2002, et l’article généraliste de Irena R oznovietchi
et Amalia Virdol, 2002.
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L’attention portée à la clôture et à la sécurité rend difficile une étude approfondie, mais ont peut
essayer de saisir le l’émergence, la nature et l ’ampleur des phénomènes de clôture et de privatisation
des nouveaux espaces résidentiels. La dénomination de « complexe résidentiel » pour des ensembles de
petits immeubles et d’appartements reste minoritaire, et pour des raisons d’homogénéité paysagère et
de type de demande, nous centrons cette étude sur les zones de villas neuves clôturées, qui se
rapprochent le plus des « résidences fermées » américaines et occidentales.
Il s’agit d’un produit immobilier récent à Bucarest, qui est lié au front d’urbanisation, où le marché
est le plus dynamique. Ces « complexes résidentiels » se concentrent essentiellement dans le nord de la
capitale. Il peut être intéressant de chercher à comprendre les raisons de leur succès et leur signification
particulière au sein du processus de ségrégation ré sidentielle. Plus largement, il est utile d’interroger
leur lien avec les dynamiques actuelles de l’agglomé ration de Bucarest et leur impact sur la cohésion
sociale de la capitale. Ce qui conduit à émettre l’hypothèse que le choix croissant de l’entre-soi par une
élite urbaine peut conduire l’agglomération à un processus de fragmentation urbaine.
Il convient pour cela de commencer l’analyse par quelques précisions sur les phénomènes de
ségrégation, de privatisation et de fragmentation en revenant sur leurs définitions, puis de mener une
étude de l’émergence, de la signification et des dynamiques actuelles du marché et des constructions de
« complexes résidentiels ».
1. DE LA SÉGRÉGATION À LA FRAGMENTATION URBAINE
Les concepts de ségrégation et de fragmentat ion sont à la fois descriptifs et explicatifs et
renvoient à un idéal urbain de « vivre ensemble » 2, d’accès équitable au logement et d’espaces partagés,
favorisant la mixité sociale et l’intégration des différentes populations (et non leur différenciation, leur
mise à l’écart). Ils sont donc souvent connotés de façon péjorative et peuvent être perçus comme une
façon abusive d’interpréter les phénomènes observés. Pour éviter ces jugements de valeurs, certains
auteurs préfèrent retenir une définition restrictiv e, quand la séparation des groupes sociaux est
organisée de façon institutionnelle et autoritaire (comme dans les régimes d’ apartheid), mais cet emploi
ne fait pas l’unanimité. Il convient donc de pr éciser l’emploi des différents concepts qui sont liés à
l’analyse de la division sociale de l’espace urbain et à l’émergence de « résidences fermées ».
1.1 LA SÉGRÉGATION RÉSIDENTIELLE ET LA « DÉSOLIDARISATION »
Au sens étymologique, la ségrégation est l’action de séparer, de mettre à l’écart. On parle de
ségrégation résidentielle pour qualifier les formes extrêmes de division sociale de l’espace urbain,
pourtant ce concept est aussi une façon d’interpréte r la signification de la division sociale que l’on
observe, notamment quand la ségrégation est assimilée au rejet de l’altérité. En plus l’emploi restrictif, la
ségrégation résidentielle peut qualifier toute différ ence de localisation entre des groupes définis par la
position sociale ou l’origine. Une autre perspective qualifie de ségrégation urbaine les situations où
différents groupes ont des chances inégales d’accès aux biens (matériels et symboliques) offerts par la
ville. La ségrégation est enfin et surtout employée dans les cas de regroupement spatial associant à des
populations, favorisées ou défavorisées, des espace s délimités ou enclaves. Elle peut résulter d’actions
2 « C’est bien ce vivre ensemble qui fonde l’expérience de la citadinité, même si ce n’est que dans les espaces publics, et qui
contribue à produire non pas de la sociabilité seulement, mais une société, c’est à dire une capacité collective à faire tenir
ensemble des groupes fortement différenciés. » Marie-Christine JAILLET , 1999, « Peut-on parler de sécession urbaine à
propos des villes européennes ? », Esprit, no. 11, p. 158 ; « Les espaces traditionnellement perçus comme publics et à ce titre
échappant à la partition sociale de la ville (places, marchés, promenades, édifices publics), peuvent être considérés comme
autant de creusets d’intégration des différences (…). Leur disparition est assimilée à la perte de supports d’une urbanité
commune. » Françoise Navez-Bouchanine, in E. Dorier-Apprill (dir.), Une approche critique de la notion de fragmentation, 2001, p.
112.
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non volontaires 3, en dehors de toute intention ségrégative, comme résultat de la compétition
économique pour le sol ou comme résultat collectif du jeu des décisions individuelles. Le cumul de choix
résidentiels, dictés par des exigences minimum (env ironnement, services…), engendre un processus en
chaîne, qui peut aboutir à la création d’espaces socialement homogènes, de situations ségrégatives, qui
n’étaient par recherchées par les différents acteur s. Ce qui permet d’introduire la notion d’agrégation
spatiale, comme processus de regroupement de personnes ou d’activités en un lieu de dimension
restreinte, et qui aboutit, par le jeu des choix individuels, à la création d’enclaves.
Il convient de distinguer la ségrégation et la « désolidarisation », volonté manifeste d’une fraction
de la population de se séparer de la collectivité pour en former une autre autonome, de fuir ceux dont
on ne veut pas ( opting out). Alors que la ségrégation peut être le constat d’une situation statique de
localisation différenciée, la désolidarisation désig ne un mouvement qui crée la différence. Il s’agit non
seulement de rechercher l’entre-soi, mais également de fuir la ville et ses « nuisances », ainsi que les
« indésirables », voir pour certains, de nier la différence et l’altérité4.
1.2. LA PRIVATISATION, LES « QUARTIERS PRIVÉS » ET LES « QUARTIERS FERMÉS »
Ce mouvement de désolidarisation peut se traduire par la privatisation et le contrôle de certaines
zones urbaines pour garantir l’entre-soi. Cette privatisation se matérialise par la disparition des espaces
publics, leur remplacement par des lieux communautair es, identitaires et affinitaires, des territoires
privatifs (qui excluent l’altérité). Elle peut être économique, souvent par la transformation en espaces
marchands, de loisirs ou touristiques, qui sont de « faux » espaces publics, dès que l’accès est payant ou
suppose consommation. Elle peut aussi être le fa it d’une « communautarisation », quand seule une
communauté à accès, de façon explicite ou non à un espace (quels que soit les critères de
discrimination), ou d’une « militarisation », par la surveillance ou la protection (par un grillage, un mur,
une compagnie de gardes…).
La privatisation peut rester discrète, comme dans le cas de la transformation des rues et places en
espaces marchands, en terrasses, ou trouver son exp ression la plus visible dans la constitution de
« quartiers fermés ». Certains habitants demandent parfois la fermeture de rues de manière à contrôler
l’accès exclusif à leur quartier (préexistant), mais le plus souvent le phénomène de clôture devance la
constitution d’un lotissement neuf par un promoteur privé. Les quartiers fermés sont donc des espaces
résidentiels privatisés et clos, l’accès du public y est contrôlé pour la zone d’habitation, tout comme
pour les autres services qui peuvent être proposés (loisirs, commerces, enseignement…).
Un cas particulier de privatisation et de clôtur e s’est développé d’abord aux Etats-Unis, puis s’est
répandu sous différentes formes en Amérique la tine et en Europe occidentale : les communautés
fermées (gated communities). En plus du prix d’acquisition, les frais de copropriété permettent l’entretien
des infrastructures (portail, route, loisirs…) et le recours à des sociétés privées pour le gardiennage et
la maintenance. La gated community est organisée par un contrat de copropriété (et parfois gérée par
une association de copropriétaires) qui oblige à entretenir son bien et à préserver son aspect extérieur
selon des règles très strictes. Renaud Le Goix (2002) a montré que cette organisation est destinée à
prévenir une dégradation de la valeur foncière liée au vieillissement et permet une valorisation des biens
de l’ordre de 10% par rapport aux résidences vo isines mais à l’extérieur de la clôture. Les gated
communities sont donc liées aux désirs d’entre-soi, avec un projet séparateur, de surveillance et de
contrôle des indésirables, mais aussi de garantie des investissements.
3 Thomas Shelling, 1978, La Tyrannie des petites décisions, trad. fr., P.U.F., Paris, 1980.
4 Marie-Christine Jaillet, op. cit., p. 153.
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1.3. LA FRAGMENTATION ET LA « SÉCESSION URBAINE »
L’enfermement des minorités aisées, soit en des lieux privés, soit en des lieux inaccessibles et
fermés, et donc plus généralement la disparition des espaces publics, conduit à la fragmentation. On
distingue la fragmentation spatia le, ou physique, qui correspond à des situations où la ville est
caractérisée par un aspect éclaté, un tissu urbain hétérogène et peu articulé (discontinuité du tissu,
hétérogénéité des paysages, des infrastructures ou des services urbains, effet de coupure entre des
« éclats » urbain), et la fragmentation sociale, disso ciation sociale d’une partie de l’espace urbain par
rapport à l’ensemble urbain, pouvant aller jusqu’à la recherche d’une autonomie.
La désolidarisation peut se traduire également par le refus de payer pour les groupes sociaux les
plus fragiles, les « exclus » en prenant en charge les services de gestion urbaine (ramassage des ordures,
éclairage « public »…) et en essayant de se soustraire au financement de services collectifs qui ne
concernent plus l’enclave autonome. Cette autarcie s’accompagne de la substitution aux autorités
publiques pour se protéger de l’insécurité, réelle ou supposée, du reste de la ville, et elle est souvent
qualifiée de « sécession urbaine », même si peu de quartiers obtiennent réellement l’autonomie politique
de façon à constituer des « villes privées ».
2. COMMENT QUALIFIER CES NOUVELLES RÉSIDENCES DU NORD DE BUCAREST ?
Bucarest ne connaît pas non plus la constitution de « villes privées », mais bien une multiplication
des « résidences fermées ». Après ces précisions, on peut essayer d’analyser l’émergence, le
développement et l’organisation de ces « complexes de villas » sur les fronts d’urbanisation de la
capitale. Selon le processus d’agrégation spatiale, ils se concentrent essentiellement dans le Nord de
Bucarest, sur deux espaces : la oseaua Nordului, au Nord Est du Parc Herstru ; et entre la forêt
Bneasa et le lac Pipera, sur la commune limitrophe de la capitale, Voluntari. On trouve également deux
« complexes résidentiels » à la sortie de la ville5 en direction de Mogooaia, Bneasa Struleti (8 villas) et
Blue Village (30 villas à louer, en construction), et le lotissement Lakeview Housing (30 villas en duplex)
aux abords du lac Grivia, sur la oseaua Struleti (t ous trois sont à l’intérieur de la Municipalité de
Bucarest). Mais comparé au près de 1,200 villas dé jà construites dans les « résidences fermées » du
Nord Est de l’agglomération, ces localisations resten t très marginales. En plus de l’emprise spatiale,
l’ampleur du phénomène se traduit également par un élargissement de l’offre immobilière, et une
diversification des types de « complexes ». Si la discontinuité spatiale créée par la clôture est leur
principal point commun, leur concentration en deux pôles fait ressortir une certaine hétérogénéité.
2.1. LE « VILLAGE FRANÇAIS », UN PRÉCURSEUR
Entre 1993 et 1994, au nord de la Municipalité de Bucarest, derrière les ambassades de Rép. Pop.
de Chine et de R.P.D. de Corée, la société française Bouygues 6 a construit en collaboration avec des
entrepreneurs roumains un lotissement résidentiel séparé par une clôture et baptisé « Village Français »
(Satul Francez). Ce nouveau produit immobilier, situé le long de la oseaua Nordului, en face du Parc
Herstru, sur un terrain loué à la mairie de Bucarest 7, était destiné, à son ouverture en 1994, aux
dirigeants et cadres supérieurs des entreprises étrangères, qui venaient résider à Bucarest avec leurs
familles. La gestion du « Village français » a été confiée à une filiale locale, World Trade Center
Bucharest (WTCB), tout comme l’hôtel Sofitel, le World Trade Center de Bucarest, et le centre
commercial voisin, World Trade Plaza . Les services proposés au « Village », clôture et filtrage,
gardiennage, club de loisirs, sport et détente (« Le Club »), crèche, garde d’enfants, dispensaire médical,
5 Les complexes à l’extérieur de l’agglomération, comme à Corbeanca ou Snagov n’ont pas été pris en compte.
6 Nous tenons ici à remercier Eric Royer, de la société Bouygues, Mihaela Andrei du World Trade Center Bucarest, et
Liviu Popescu, directeur de Le Club, pour la visite et les informations aimablement fournies.
7 En 2003, cette location s’élevait à 1,6 millions d’USD par an, le contrat est en cours de renégociation.
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mais aussi TV satellite et connexion internet haut débit visaient à offrir tout le confort moderne, mais
aussi la sécurité et la tranquillité aux étrangers peu familiarisés à Bucarest, et inquiets pour leurs familles.
Il s’agit de 69 logements sur un espace de 6 hectares, 35 appartements et 34 villas, selon trois
types, avec une surface habitable de 130 à 170 m 2, avec parking individuel, et pour les villas un jardin
privé de 60 à 100 m 2. La route qui serpente entre les villas, « Le Club » et le bâtiment qui accueille la
crèche et le dispensaire médical est privée, barr ée aux deux entrée (Sud et Nord) avec un filtrage
effectué par une compagnie privée de gardiennage. Le paysage ressemb le au lotissement périurbain de
classe moyenne en France, en tous points semblable à ceux construits par Bouygues à la même époque,
le début des années 1990. Mais la clôture, qui se double d’une « barrière verte » d’arbres, de buissons et
de lierre, en fait un îlot, physiquement séparé du re ste de l’agglomération et au paysage radicalement
différent. A son ouverture en 1994, le « Village França is » fait figure d’enclave étrangère à Bucarest et
semble particulièrement bien adapté à la clientèl e visée. La structure du lotissement, ainsi que les
services offerts, permettent de ne pas rencontrer la population locale et de ne sortir que pour des
raisons professionnelles (et les enfants pour fréquenter le s écoles et lycées étrangers de la capitale). Il
ne s’agit donc pas seulement de la privatisation de s espaces publics (route, place, square…), mais de la
possibilité d’un « entre-soi » sélect, puisque réservé aux dirigeants des entreprises étrangères, et garanti
par la clôture. On peut donc qualifier le « Village Français » de quartier privé et fermé.
Mais ce « complexe résidentiel » diffère du modèle américain des gated communities. En effet, les
habitants ne sont pas propriétaires, mais locataires. L’ensemble des habitants en 1994, et 62 familles sur
les 69 logements (soit 90%) en 2004, sont logés par leur entreprises qui payent le loyer, à titre de
« logement de fonction ». Le prix de ce loyer en 2004 s’échelonne de 2 500 à 4 000 euros/mois, en
fonction du type d’habitation, il a décru depuis 1994 du fait de la multiplication de ce type d’offre
immobilière. La société WTCB s’occupe de la gestion du complexe et de faire sous-traiter la
maintenance (du gardiennage au jardinage). Les lo cataires n’ont aucun pouvoir décisionnel, et sont
soumis à l’organisation et aux normes fixées par le WTCB, qui cherche cependant la complète
satisfaction de ses clients. La clôture ne sert donc pas à garantir la valeur d’un bien immobilier, mais à
préserver un « entre-soi » temporaire (les habitant s sont propriétaires de logements à l’étranger), un
îlot séparé du reste de la Municipalité de Bucarest, sans risque de mélange indésiré. On ne peut donc
pas parler de volonté de « sécession urbaine », mais juste du refus de cohabitation et d’intégration de la
part de populations allogènes.
On peut cependant noter que, depuis 1994, la cli entèle de ce complexe a légèrement changé :
parmi les locataires du Satul Francez, 3 familles en 2001 et 5 en 2004 sont ressortissants de la Roumanie.
Ce changement de clientèle montre le succès de ce nouveau produit immobilier à Bucarest et
l’existence d’une demande interne. Ce qui a contribué à une explosion de l’offre (multiplication par plus
de 30 en 10 ans), avec une forte croissance de la de mande interne ces dernières années, du fait des
facilités de paiement accordées après 2001, et du retour de l’étranger de familles roumaines aisées8.
2.2. L’EFFET D’ENTRAÎNEMENT DES RÉSIDENCES FERMÉES
En 1995, la société Impact SA lance un autre projet de « complexe résidentiel », Alpha, dont les 44
villas de 350 m 2 (avec piscines et court de tennis commun) fi nissent d’être construites en 2001. Il s’agit
d’un projet différent, d’abord en tant que produit immobilier, puisque les villas sont construites au fur et
à mesure qu’elles sont vendues (aux environs de 270 000 USD), ensuite par sa localisation sur l’axe
Strada Erou Iancu Nicolae, le long de la forêt Bneasa, enfin parce qu’il s’adresse surtout à un public
roumain. Ce projet bénéficie rapidement de la proximité de celui de Bayindir avec deux autres
complexes, Bneasa Residential Park (140 villas) et Butterfly Club (60 villas et club de sport), puis de celle
de l’Ecole Américaine, ce qui contribue à fixer cette seconde localisation des résidences fermées. Impact
a développé ses projets suivants ( Beta, 72 villas en 2000, Delta et Gamma, 250 villas en 2002-2003)
également le long de la Strada Erou Iancu Nicolae, et de nombreux autres complexes de villas, à vendre
8 Selon le Rapport ARAI 2003.
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ou à louer, se sont par la suite développés à proximité ( Zenit Mansion, Paradisul Verde, Green Hill Village,
Parcul de Padure, Zodiac, Clima…). Il existe un important effet d’entraînement, à tel point que cet axe qui
longe la forêt Bneasa-Tunari fait figure de succession de résidences fermées.
Le même phénomène se retrouve le long de la o seaua Nordului. Alors que sur la photo satellite
de 2002, il n’apparaît que le « Village Français » et le complexe Grigore Gafencu (8 paires de villas en
duplex) d’architecture très moderne et colorée, c’est presque l’ensemble de l’ancienne pépinière qui est
aujourd’hui en construction ou construite. Ces premiers quartiers fermés ont été largement imités, on
peut penser que ce succès est dû à la fois à la nouveauté du produit immobilier, à la garantie de l’entre-
soi, et au prestige de l’élite étrangère qui y réside. Le type d’offre s’est néanmoins élargi, avec des petits
immeubles (4 fois 3 appartements à Green Arcades, vendus et en cours de livraison, route privée et
garage souterrain), des ensembles plus vastes (93 appartements de Lakeview Comdominium, piscine
commune, route, parking privé et vue sur le parc), mais aussi des complexes de villas cossues ( Gafencu
2, 8 villas de plus de 350 m 2 avec court de tennis, Compound vis-à-vis « Le Club » , 20 villas) et le tracé
d’une route privée avec la construction progressive de villas et d’immeubles de tailles et d’aspects très
hétérogènes (voir schéma). Le terrain a été en gran de partie rendu constructible fin 2002, et les
promoteurs immobiliers précisent que cette zone est l’une des plus prisées depuis la libération des
réserves foncières, et comme elle est presque arrivée à saturation, on s’attend à une hausse significative
du mètre carré construit (actuellement entre 800 et 900 euros/m2), alors que la très forte augmentation
de l’offre pour 2003-2004 avait fait baisser les prix de 10 à 20%. A ces constructions s’ajoutent
l’ouverture d’un hôtel de luxe ( Hotel Persepolis), d’un café (Alexandra Café) et d’un restaurant (Casa M),
qui avec l’offre proposée par « Le Club » et le voisin « Complexe Herstru » (terrasse, hôtel,
restaurant, discothèque et club de loisirs) contri buent à maintenir les nouveaux habitants dans ce qui
commence à ressembler à un quartier, malgré la grande diversité paysagère.
l’extension de l’offre et de la demande d’un produit immobilier nouveau (et à son prestige), et par le jeu
des choix individuels (des clients et des promoteurs ). En effet, ces deux zones qui se sont transformés
en pôles de privatisation et de clôture des espaces résidentiels ont en commun la conjonction de
nombreuses aménités urbaines. Les promoteurs va ntent surtout la qualité du cadre et de
l’environnement (forêt, lacs, pollution plus faible), ainsi que la bonne connexion de ces espaces à la fois
au centre ville (10 à 20 min. en voiture), aux aér oports de Bneasa et d’Otopeni (10 min.), aux espaces
récréatifs proches (comme le complexe Herstru) ainsi qu’à l’axe nord qui dessert les espaces
récréatifs plus lointains (notamment la vallée de la Prahova). On peut ajouter la proximité du nouveau
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centre fonctionnel, constitué par le complexe Sofi tel-Worl Trade Center, le centre Romexpo et les
nombreux sièges de banques, ainsi que la proximité du Pa lais de la Presse et de l’Université Roumano-
Américaine. De même, l’existence de nombreux et vastes terrains constructibles (au départ), à
proximité des lacs et de la forêt, avec une sismicité moindre que dans le centre ville (sachant que les
travaux de consolidation des immeubles anciens re stent très chers) sont sans doute des critères
importants. Dans le même temps, les zones in dustrielles du nord de la capitale ont été
« retechnologisées », se tournant vers des activités « propres » et de pointe autour de l’Institut National
de Microtechnologie (IMT sur la Strada Erou Ia ncu Nicolae), avec des entreprises comme Bneasa SA
(ex-IPRS, privatisé), Romes Modules ou Tehnofina SA. On peut, en définitive, penser que ces nouveaux
produits immobiliers tendent à maximiser les rentes de site et de situation et que leur localisation
souligne un important rejeu au cours des années 199 0 de la bipolarisation Nord-Sud de la capitale, en
partie héritée de l’Entre-deux-guerres, en termes de ségrégation résidentielle, de qualité de
l’environnement et d’offre de services.
En tenant compte de l’ensemble des localisations (Bucarest et Voluntari), on peut estimer en mai
2004 à 1181 le nombre de villas construites dans des es paces privatisés et clos (voir tableau), avec un
taux d’occupation moyen de 65% (les villas à louer ont les taux d’occupation les plus variables9), mais qui
s’organisent selon deux pôles principaux. Cette organisation est due aux dynamiques de choix de
l’entre-soi, d’imitation d’une élite étrangère et conjonction des aménités urbaines, mais aboutissent
cependant à de curieux paradoxes : ces quartiers fe rmés ne sont pas isolés, mais au contraire en prise
directe avec le centre ville, le nouveau pôle bancaire et commercial, les aéroports et les principaux axes
routiers. Le rôle de la clôture reste à interroger, d’autant qu’il ne sépare pas tant des indésirables, mais
du complexe voisin, du fait de leur importante concentration.
La tendance à la concentration se renforce av ec les constructions qui se poursuivent, même si
nous avons vu que la zone de la oseaua Nordului es t en train d’arriver à saturation (Eurisko parle de
« systématisation »). Cette pression fait que les projet s glissent vers le Sud, au bord du lac Herstru,
sur des terrains qui sont pourtant inondables, et souvent conservés comme espaces verts par la
mairie10. On peut estimer l’ensemble de ces constructions (dont les travaux ont commencés) à 789 villas
en mai 2004. C’est le long de l’axe Iancu Nicolae, puis faute de place vers la zone Pipera-Tunari où
Epsilon Impact vient d’être achevé, que l’on construit le plus, et le prix du sol a doublé dans l’ensemble
de la zone passant de 50 USD en 2002 à plus de 90 euros/m 2 fin 2003. Ce glissement des constructions
vers l’axe Pipera-Tunari et le lac de Pipera (voir ca rte) permet de vérifier l’importance des aménités
dans la localisations de quartiers fermés. Les plus importants projets en cours sont sans doute American
Village (161 villas), Class Impact (143 villas) et Green village (44 villas), les deux premiers entre le cimetière
Pipera et le lac, le dernier à l’intersection des deux a xes Iancu Nicolae et Pipera-Tunari. La particularité
de ces nouveaux projets est d’offrir différents types de villas standardisées (de luxe, sur un terrain de
500 à 1000 m 2, « accessible », en duplex ou par trois) combinées géométriquement sur un même
espace, et toutes réservées à la vente. On peut remarquer que American Village insiste sur le respect de
« standards américains et occidentaux », ainsi que sur la nécessaire préservation de la qualité paysagère
et des infrastructures du complexe, c’est sans doute le projet qui se rapproche le plus des gated
communities. Le projet de Impact, Class, suit les mêmes orientations, avec un projet de réglementations
internes, mais prévoit en plus un terrain de sport et deux terrain de jeu pour les enfants (600 m 2), ainsi
qu’un « centre commercial » (supermarché, pharmacie, cosmétique, fitness…). Ces projets marquent
9 En raison des travaux en cours, les villas en location de la oseaua Nordului connaissent une importante baisse de
fréquentation, à l’exception du Satul Francez. De plus, la baisse du prix de l’argent et les facilités de paiements font
que la location n’est plus un investissement retable sel on Union Nationale des Agences Immobilières (UNAI), citée
par Cotidianul, 29 mai 2004.
10 En vertu de la loi L. 10/2001, Dumitru Tudor et Euge n Lincaru ont demandé à recouvrir un terrain de 19 000 m 2
dont ils sont héritiers. Mais comme ce terrain est en partie loué au WTCB et que le Satul Francez y a été construit, la
Mairie Générale de Bucarest leur a proposé en échange 33 000 m 2 aux abords du lac Herstru en septembre 2003,
qu’ils ont vendu à leur représentant légal, Costel Constanda . Ce dernier souhaite y développer un vaste « complexe
de luxe », mais la mairie s’y oppose, prétextant que ce terrain correspond au parc Bordei, et ne peut être rendu
constructible. Evenimentul Zilei, 24 avril 2004.
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l’émergence, non plus seulement de résidences, mais de véritables quartiers fermés, qui permettent une
importante autarcie, et renforcent le sentiment d’entre-soi.
En mars 2004, Impact a acquis 120 000 m2 entre l’aéroport de Bneasa et Drumul Potcoavei (qui à
cet endroit n’est pas encore tracé) pour développer son dernier projet, Traian Vuia (les travaux n’ont
pas commencés, il n’a donc pas été pris en compte dans les estimations chiffrées). Avec ce projet, c’est
presque toute la zone comprise entre l’aéroport et la forêt de Bneasa, jusqu’à l’axe Pipera-Tunari à
l’Est, qui est construite, en travaux, ou en cours d ’autorisation. Il est curieux de constater que cette
zone, où seuls les deux axes principaux sont pour l’instant goudronnés, et où les travaux d’adduction ne
sont pas toujours en cours, est en train d’arriver à saturation, alors qu’elle recouvre la zone de
restriction due à la pollution sonore de l’aéroport de Bneasa, à l’exception de son extension Sud Est où
se trouvent Epsilon et le projet Zeta Impact.
Les dynamiques de constructions montrent enfin la possible émergence d’un troisième pôle, sur la
oseaua Struleti, au bord du lac Grivia, où s’était déjà implanté Lakeview Housing (30 villas en duplex).
Là aussi, d’importantes constructions (une cinquanta ine de villas) sont en cours, alors même que les
routes n’ont pas été tracées. Les projets les plus importants sont Floreasca View (30 villas) et Siseti Park
Compound (14 villas). Etant donnée la prochaine saturat ion des deux principaux pôles, cet espace,
encore marginal mais bénéficiant d’atouts assez proches t out en restant moins cher (le sol se vend aux
alentours de 50 euros/m 2), devrait se développer selon la même logique d’agrégation spatiale si la
demande se maintient.
2.3. DEUX PÔLES, MAIS DES FORMES DIFFÉRENTES DE « PRIVATISATION » ET DE CLÔTURE
Lors du Colloque « Urban Dynamics and Sustainable Development », qui s’est déroulé à l’Institut
de Géographie de Bucarest les 18 et 19 juillet 2003, Claudia Popescu et Nico leta Damian ont qualifié
lors d’une étude préliminaire la plupart de ces « complexes » de gated communities, mais nous avons vu
qu’ils présentent en fait des formes d’organisation et de clôture assez hétérogènes.
En dehors des immeubles, nous avons mis en évidence des « complexes » qui, comme le Satul
Francez, présentent la particularité de n’offrir le nouveau produit immobilier qu’à la location. Ce type de
« complexe » s’adressait au départ à une populat ion assez homogène, une élite expatriée (diplomates,
dirigeants d’entreprises…) en séjour de durée cour te ou moyenne, avec leurs familles. La recherche
d’un entre-soi d’une élite expatriée est en partie liée à la perception de Bucarest comme une ville
« dangereuse », mais reste largement indépendante des dynamiques urbaines. Par contre, nous avons vu
que le Satul Francez accueille depuis 2001 une clientèle roumaine (en faible proportion). Des complexes
comme Zenit Mansion, Clima ou Arbore Compound s’adressent depuis 2001-2002 à un public roumain
pour la location. Ces « complexes » fonctionnent sur le mode du club sélect, et à l’entre-soi des
expatriés s’ajoute une « désolidarisation » des R oumains, qui quittent leurs concitoyens pour se
rapprocher, imiter les activités (« Le Club ») et le mode de vie de cette élite étrangère. Dans ces
conditions, on peut bien parler de résidences fermées, avec la surveillance et le contrôle des accès, la
privatisation des routes, espaces verts et de loisirs, mais puisque c’est la compagnie qui loue et gère son
complexe (WTCB, Willbrook pour Zenit et Arbore, Clima Invest pour Clima) en fonction de ses intérêts
(conserver l’attractivité et maintenir le taux d’occupation le plus élevé possible), on reste loin du modèle
des gated communities.
En fait, la diversification de l’offre à l’achat est le principal facteur de cette pluralité des formes
d’organisation et de clôture constatée. On peut les regrouper en trois ensembles : privatisation d’une
route avec une liberté de construction, petits ens embles clos standardisés, vastes ensembles clos
standardisés, avec ou sans services annexes, et vastes ensembles clos regroupant des produits variés,
avec des services complexes et une réglementation interne, ce dernier étant le plus proche des gated
communities. Aux abords de la oseaua Nordului, la construction d’une route privée, mais pas encore
clôturée du fait des travaux en cours, où chaque propriétaire peut construire la villa ou l’immeuble qu’il
souhaite en fonction de la taille de la parcelle acquise, ne correspond pas à la constitution d’un ensemble
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cohérent : on trouve côte à côte immeubles de 4 étages, villas de plus de 1 000 m 2 avec piscine et court
de tennis privé, et villas plus modestes de 150 à 300 m 2. Il s’agit bien d’une forme de privatisation, mais
la diversité des tailles, formes et produits, donc également des coûts, ainsi que des couleurs et des styles
architecturaux (du chalet au « béton-fer-verre »), renvoient plus à la juxtaposition d’individualités qu’à la
claire constitution d’une communauté. L’entre-soi n’est donc pas un nouveau « vivre ensemble »,
d’autant qu’aucun service commun n’est prévu, si ce n’est la proximité de ceux d’Herstru et du Satul
Francez. On peut alors estimer que le rôle de la privatisation et de la clôture est plus de se démarquer
et de se rapprocher aussi morphologiquement du modèle du Satul Francez que de séparer.
Au sein des petits groupes de villas, on ne trouve généralement pas de services communs, sauf à
Ibiza Housing (18 villas, Iancu Nicolae) et Bneasa Struleti (8 villas, Struleti) qui proposent piscine et
terrasse pour tous les occupants. Mais la taille modeste du complexe (parfois moins de 5000 m 2), et de
l’espace privatisé, réduisent sans doute les possibilit és d’autarcie même s’ils favorisent peut être un
certain « vivre ensemble ». Parfois l’espace privatisé est presque inexistant, comme à Lakeview Housing
(30 villas en duplex, Struleti) où chaque villa a d eux entrées sur la rue (surveillée par un gardien), une
par occupant, et où le « complexe » ne recouvre que les garages devant la maison ainsi que les jardins
qui donnent à l’arrière sur le lac Grivia. Dans ces c onditions, il est parfois difficile de faire la différence
entre un « complexe » et un lotissement pavillonnair e, si ce n’est que celui-ci s’adresse à une large
clientèle, en accueillant également les sièges sociaux de deux entreprises ( Emborg Food Ro au nr. 144 et
Betacons au nr. 162 oseaua Struleti).
Même au sein des grands « complexes », où l’espace privatisé est le plus important et la clôture la
plus visible, on trouve une combinaison de situa tions entre location et vente, comme à Bneasa
Residential Park ou Beta Impact, pour rentabiliser au maximum l’investissement du promoteur. De ce fait,
ces résidences fermées sont gérées pour protéger les intérêts du promoteur et non l’investissement des
clients, et la mobilité d’une partie de la population ne conduit peut être pas à la création d’un sentiment
de communauté, même dans les cas où des services communs sont proposés (club de sport ou de
fitness, terrasse et centre de loisirs, comme à Butterfly Club). En fin de compte, ce sont les derniers
projets, avec leur organisation et leurs réglementations qui sont le plus proches du modèle des gated
communities.
La grande diversité de l’offre, mais aussi la dy namique actuelle du marché, font qu’il est encore
difficile d’apprécier la plus-value de la clôture en termes économiques, ainsi que sa signification globale.
Nous avons vu que la localisation des résidences fermées se concentre principalement en deux pôles
dans le Nord de Bucarest, et que la clôture sépare en fait souvent du « complexe » voisin. Plus que des
localisations ponctuelles, ont a donc affaire à des « quartiers » de résidences fermées, nous en avons vu
l’organisation le long de la oseaua Nordului. On retrouve cette tendance sur la commune Voluntari,
puisqu’aux résidences fermées s’ajoutent des écoles (Ecole Américaine sur l’axe Pipera-Tunari, Ecole
Internationale Mark Twain sur l’axe Iancu Nico lae), la conjonction d’un centre de formation et
d’entreprises tournées vers l’industrie de pointe (MIT, Romes Modules et Bneasa SA, Iancu Nicolae,
32B), mais de taille trop modeste pour que l’on puisse parler d’un véritable technopôle, des firmes de
services aux entreprises (comme Net Cons Management SRL, Iancu Nicolae, 69-71), ainsi que des
centres commerciaux, notamment avec le projet de « Mall de luxe », Jolie Ville, dont la construction vient
d’être achevée. Il y a donc une certaine mixité des activités dans ces « quartiers » de résidences
fermées, tout est fait pour répondre sur place à tous les besoins des habitants, ce qui, malgré le lien très
clair que ces quartiers entretiennent avec le nouvea u centre fonctionnel autour du World Trade
Centre, favorise une organisation si ce n’est autarcique, au moins en replis sur l’entre-soi.
On ne peut pas pour autant parler d’unité des ces quartiers de résidences fermées en cours de
constitution, ne serait-ce que du fait de l’im portante hétérogénéité paysagère évoquée, mais également
de la diversité des produits, qui contribuent à un e certaine hiérarchisation. Nous avons vu que les
derniers projets présentent une hiérarchisation interne des produits, en combinant des villas de taille et
de confort variés. La diversité des produits immobiliers suscite aussi inévitablement une hiérarchie entre
les « complexes », des résidences fermées aux villas cossues aux immeubles d’appartements, en passant
par les groupes de villas plus modestes, avec de petits jardins et sans services communs (comme
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Lakeview Housing). L’importance de la place dont il dispose (6 ha) et son antériorité font que le Satul
Francez reste parmi les plus prisés, avec les villas cossues de Alpha, et le petit groupe de celles de
Bneasa Res. Park qui disposent de plus de 500 m 2 de terrain. La réputation d’îlot de verdure du Satul
Francez explique que la société WTCB voit d’un mauvais oeil que l’on construise autant juste devant ses
portes. En fait, la clôture sépare peut-être d’indésirables plus proches que l’on ne le pense.
3. EN GUISE DE CONCLUSION : ASSISTE-T-ON À UNE FRAGMENTATION URBAINE ?
Du fait de la nature même de ces résidences fermées, il est difficile de mener une enquête
approfondie pour saisir la signification de la clôt ure. Mais nous avons vu que l’organisation des
résidences fermées, concentrées en deux pôles au Nord de Bucarest du fait de l’agrégation spatiale, met
en évidence deux paradoxes. D’abord, loin d’être isolés, les « complexes » présentent une maximisation
de la rente de situation, avec une bonne connexion à la fois avec le centre ville, le nouveau centre
fonctionnel émergeant au Nord de la capitale ainsi qu’avec les aéroports et les grands axes du pays.
Ainsi, la discontinuité physique de la clôture n’a pas qu’un rôle de séparation, d’autant plus que
l’importante concentration des résidences fermées, et c’est le second paradoxe, fait que la clôture ne
sépare directement que de la clôture voisine. On peut en conclure que la clôture est donc avant tout
destinée à garantir la privatisation des espaces résiden tiels et de loisirs. Elle est à la fois un outil de
distinction sociale, par imitation d’un modèle impor té par une élite étrangère, et de préservation d’un
entre-soi. Nous avons vu qu’il existe une tension entre ces deux objectifs, que l’extension de l’offre
produit des « complexes » plus modestes ou plus accessibles, créant une hiérarchisation entre les
différentes résidences fermées. La clôture est aussi une façon de se démarquer des prétendants à
l’entrée dans un « club » sélect. Si l’on assiste à l’émergence de deux quartiers de résidences fermées
d’une importante emprise spatiale, et à l’apparition d’une vaste gamme de services qui permet une
certaine autarcie, l’entre-soi ne se vit sans doute pas à l’échelle de ces quartiers.
Ces deux paradoxes font qu’il est difficile de parler de fragmentation urbaine pour ces quartiers
émergeants de résidences fermées à Bucarest. D’abord parce que la discontinuité physique et paysagère,
si elle créé des enclaves maximisant les aménités urba ines et acquérant les possibilité d’une certaine
autarcie, ne les sépare pas du reste de l’agglomérati on. Ces produits semblent chercher au contraire la
meilleure connexion avec ses axes et pôles principaux. Ensuite, si l’on assiste bien dans de nombreux cas
à une gestion autonome des services urbains et une substitution aux pouvoirs publics en matière de
sécurité, la diversité de la clientèle, et notamment le fait que les premiers venus soient des étrangers
puis des expatriés revenant au pays, rend alors difficile l’appréciation d’une réelle « désolidarisation » du
reste de l’agglomération. Enfin, la hiérarchisation entre les différents « complexes » et la tension entre la
volonté de distinction sociale et le choix de vivre entre-soi, font qu’il est difficile de donner une image
de réelle cohésion de ces quartiers et toute volonté de sécession reste à mettre en évidence. Par
contre, le choix de la commune limitrophe de Voluntari, où s’est développé le second pôle de
résidences fermées reste à interroger, au-delà de ses atouts presque identiques de ceux de la zone de
Herstru (proximité des centres, aménités hérités et nouvelles…). Outre la différence avantageuse du
prix du terrain (environ 40 euros/m2 contre plus de 80), les réglementations et le taux d’imposition de la
commune limitrophe sans peut-être plus attractifs. Cependant, cette discontinuité administrative va sans
doute se réduire considérablement dans le cadr e actuel de constitution d’une Zone Métropolitaine de
Bucarest11.
Ces réflexions nous permettent cependant de soul igner que la localisation de ces quartiers de
résidences fermées met en évidence le rejeu au cour s des dernières années de la bipolarisation Nord-
Sud de la capitale, à la fois en termes de ségrég ation résidentielle, de qualité de l’environnement et
d’offre de services, notamment avec l’émerg ence d’un nouveau centre fonctionnel autour du World
Trade Centre.
11 Les textes de constitution de cet échelon sont prévus pour l’automne 2004, voir le site officiel : www.zmb.ro.
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Il serait intéressant d’approfondir la compréhen sion sociale de ces discontinuités spatiales, de
savoir en détail quels sont les clients de ces quartiers fermés, et quelles sont leurs motivations pour
choisir ce type de produit immobilier 12. Il peut aussi paraître important de déterminer si la classe
moyenne émergeante peut avoir accès aux produits plus « modestes » qui se sont multipliés, ainsi que
de saisir plus largement l’influence du paysage et du cadre morphologique sur les interactions sociales au
sein du « complexe » et dans ses relations avec l’extérieur. En fait, pour répondre à ces questions, il
faudrait réaliser une enquête plus approfondie. Malheureusement notre tentative de réaliser un sondage
pour établir le profil socioprofessionnel des habitants s’est soldée par de prévisibles difficultés, et une
non réponse. Il serait peut être possible de procéder à partir d’autres sources, comme les statistiques
d’imposition pour approcher du résultat.
La dernière question importante que soulève cette concentration de quartiers fermés
hétérogènes dans le Nord de Bucarest est celle de la possible émergence de nouveaux territoires et
d’un modèle centre européen du quartier ou de la communauté fermée. Malgré la constitution d’une
base de données mondiale 13, on ne dispose pour l’instant que d’études préliminaires sur les quartiers
fermés de l’ancien espace soviétique, et de l’étude de deux résidences fermées de Sofia 14. Il faudrait que
ces études se multiplient pour rendre les comparaisons possibles et voir comment le modèle américain
et occidental des gated communities a été adapté en Europe médiane.
RÉFÉRENCES :
BLAKELY, E. J., SNYDER, M. G., Fortress America. Gated Communities in the United States, Brookings
Institution Press, Washington D.C., 209 p., 1997.
CHELCEA, L., « Grupuri marginale în zone centrale: gentrificare, drepturi de proprietate i
acumulare primitiv post-socialist în Bucureti » (Groups marginaux dans les zones centrales :
gentrification, droits de propriété et accumulation primitive post-socialiste à Bucarest),
Sociologie Româneasc, no. 3-4, pp. 51-68, 2002.
DONZELOT, J. et MONGIN, O. (dirs), « Dossier : Quand la ville se défait », Esprit, no. 11, pp. 83-
189, 1999.
DORIER-APPRILL, E. (dir), Vocabulaire de la ville, Ed. du Temps, Paris, 191 p., 2001.
GRAFMEYER ,Y., Sociologie urbaine, Nathan, Paris, 128 p., 1995.
GHORRA-GOBIN, C., « Etats-Unis : gated communities et private cities », Urbanisme, no. 312, pp.
67-69, 2000.
LE GOIX, R., « Les gated communities à Los Angeles, place et enjeux d’un produit immobilier pas
tout à fait comme les autres », L’Espace Géographique, no. 4, pp. 328-344, 2002.
POPESCU, C., D AMIAN, N., « Gated communities at the fringes of Bucharest. A preliminary
survey », Colloque Urban dynamics and sustainable development, Bucarest, 18-19 juillet 2003.
12 Et essayer de voir si les hypothèses de Le Goix, 2002, p. 333, se vérifient également pour Bucarest.
13 Le site www.gated-communities.de, lancé par G. Glasse de l’Institut de Géographie de Mayence vise à centraliser
les recherches existantes et créer un réseau de recherche international sur le sujet.
14 Petar Stoyanov, 2002, « Gated communities in Bulgaria – Ivanyane and Mountview Village in Sofia, a new trend in the
post communist urban development », International Conf erence on Private Urban Governance, 5-9 juin 2002,
Geographisches Institut, Mainz Universität