André SCRIMA
NOTE DE L’EDITEUR
C’est à l’intérieur du Groupe de recherche Fondements de la Modernité européenne de Bucarest, qu’André Scrima prononça, le 31 mars 2000, la conférence dont on va lire le texte ci-après. Après la mort d’André Scrima en août 2000, j’appris, en parlant avec d’autres personnes qui l’avaient connu et suivi, tout au long de sa vie de moine orthodoxe, au monastère d’Antim à Bucarest, à Genève à l’Institut Oecuménique, en Inde, à Paris à l’Institut Dominicain du Saulchoir, au Liban à Deir-el-Harf et à l’Université française de Beyrouth, à Houston, Texas, aux États-Unis, qu’il s’était successivement associé à de petits cercles, dont il avait suivi les progrès dans la recherche et qu’il avait accompagnés de sa méditation. Sans le savoir, à cette époque, nous refaisions aux yeux du Père André, une communauté intellectuelle, qui, tout en poursuivant des objectifs de recherche bien déterminés, se proposait également de réaliser un esprit commun, ce qui était pour lui, comme je l’ai découvert après, la valeur suprême, et pour nous une victoire, dans une Roumanie arrachée depuis peu à la désolation du totalitarisme communiste et combattant à corps perdu pour se refaire une identité intellectuelle et morale dans le nouveau paysage de l’Europe.
Notre groupe de recherche était une structure informelle, composée de jeunes intellectuels roumains (je mentionne ici, entre autres, Horia-Roman Patapievici, Andreea Deciu, Dana Jalobeanu, Vlad Niculescu, Ioana Pârvulescu, Bogdan Tataru-Cazaban, Eugen Ciurtin), dont l’intérêt commun était lié à l’étude du XVIIe siècle européen, dans lequel nous étions convaincus de pouvoir retrouver à la fois l’origine et l’explication d’une modernité dont nous mesurons désormais tous les jours et les promesses et la difficulté. A nos yeux, étudier les textes de Francis Bacon, de Descartes, de Newton et de Leibniz, de Robert Boyle et de Henry More, de Pascal et de Bossuet, de Gassendi et de Spinoza, était beaucoup plus urgent que d’étudier la pensée de J. Habermas et de J. Derrida, de G. Vattimo ou de R. Rorty, car les premiers avaient rendu possibles les derniers, mais les derniers n’avaient recueilli qu’une partie de ces prémices, et donc avaient en quelque sorte dilapidé le riche héritage d’une Europe qui avait légué à ses fils à la fois un réseau intellectuel exemplaire et une extraordinaire matière de réflexion. Qu’avait fait l’Europe de cette matière ? En relisant les textes, nous les trouvions incommensurables avec les interprétations positivistes ou scientistes de la première moitié du XXe siècle, avec la vulgate du progrès de la pensée et de la science ou bien avec les sentiers à la fois perdus et stériles du post-modernisme. Une problématique vivante et riche, une articulation intéressante entre le théologique et le philosophique, un modèle de sociabilité intellectuelle se déployaient devant nous, au cours de ces séances où nous parlions tour à tour sur des sujets divers ou bien nous faisions des commentaires sur un même texte.
André Scrima assistait régulièrement à ces réunions, où il voyait, me disait-il souvent, se former l’esprit d’un véritable groupe intellectuel, un peu comme il en avait espéré voir naître aussi au New Europe College de Bucarest, en 1994, quand il avait accepté l’invitation d’Andrei Ple.u de revenir en Roumanie. Le New Europe College, créé sur le modèle du Wissenschaftskolleg de Berlin, a effectivement permis le développement d’un nouveau style de recherche et de sociabilité académique, dont Scrima suivait de près le déroulement et attendait des retombées positives sur le climat intellectuel général de la Roumanie. Mais cette invitation roumaine ne venait- elle pas à point nommé pour celui qui en 1991, à l’occasion d’un voyage en Inde, avait compris que désormais son expérience occidentale, commencée en 1956, était terminée ? En acceptant de venir à Bucarest comme Senior Fellow du New Europe College, le Père André ne récupérait-il pas intérieurement la figure mystérieuse et charismatique de son maître spirituel, le Pèlerin russe Jean, qu’il avait rencontré en 1946 à Bucarest comme la figure centrale du groupe spirituel du monastère d’Antim ? Ne décidait-il pas en rentrant dans son pays natal d’y jouer le rôle de l’étranger qui par son destin exemplaire l’en avait disloqué une quarantaine d’années auparavant ?
C’est donc dans ce cadre, à l’intérieur d’une série de rencontres dont le sujet était la problématique du miracle au XVIIe siècle et dont nous publions ici les différents textes, que Scrima fit ce soir du 31 mars 2000 ses propositions concernant la phénoménologie du miracle. En l’écoutant commencer son exposé, j’ignorais qu’il allait quitter le dix-septième siècle pour proposer une perspective bien plus large sur l’articulation de la religion grecque et du christianisme, qu’il allait évoquer des souvenirs d’une Roumanie archaïque, où les fées arrivaient autour d’une source, où moines et paysans communiaient selon de vieux calendriers, un pays des Balkans, dont les habitudes pouvaient être ramenées dans le passé jusqu’à l’époque des héros légendaires des vieux Grecs (mais qu’il avait choisi ce soir-là de nous faire entrevoir à travers l’évocation d’un film de Pasolini), une Roumanie enfin dont il avait décidé d’évoquer un épisode des persécutions de la Securitate des années 1950. En publiant aujourd’hui le texte de cette conférence dans la revue ARCHES, nous restituons l’ambiance spirituelle où est née le Groupe « Fondements de la Modernité Européenne », mais aussi la position curieuse, à la fois hors du temps et très informée, qu’occupait le questionnement d’André Scrima à l’intérieur de nos préoccupations académiques.
On avait fait fonctionner un enregistreur, auquel nous devons d’avoir conservé une trace de cet exposé, même si l’enregistrement s’est avéré par la suite techniquement très imparfait et il a fallu déployer de grands efforts pour entendre et transcrire la voix de Scrima. Ces efforts ont été entrepris par Bogdan Tataru-Cazaban et, plus tard, repris par Nicolae Teodoreanu. A partir de leur travail, j’ai moi-même consacré beaucoup d’heures à améliorer la qualité de l’écoute et à combler les nombreuses lacunes qui subsistaient dans le texte. J’ai fini par reconstituer à peu près la totalité de la conférence, même si une grande partie de la discussion qui a suivi n’a pu être restituée. Prenant comme base ce résultat, j’ai opéré des coupures, pour éviter des répétitions, mais en respectant l’orientation générale d’un exposé qui, malgré les digressions, procède par ordre et selon une cohérence sous-jacente exceptionnelle, qu’André Scrima faisait apparaître dans toutes ses prises de parole. Le texte qu’on va lire est par conséquent le produit de nombreuses opérations de rédaction* qui tentent de le rendre dans son unité, au-delà du caractère fatalement oral que seul l’enregistrement a capté: il convient cependant de le regarder comme une improvisation, suscitée, ainsi qu’André Scrima le précise dès le début, par l’effervescence d’un milieu qu’il considérait comme stimulant et prometteur. En le publiant aujourd’hui, nous livrons au public un fragment de cette ambiance, ainsi qu’un premier texte1 sur une œuvre d’une richesse extraordinaire de pensée, dont nous faisons en Roumanie les diligences pour assurer la publication posthume.
Vlad ALEXANDRESCU
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Vlad ALEXANDRESCU : Nous avons eu, tout au long de nos rencontres de cette année concernant la problématique du miracle, des exposés dont la dimension historique était de loin la plus importante, même si, à chaque fois, l’auteur en indiquait aussi des perspectives herméneutiques. Pour aujourd’hui, le Père André Scrima a annoncé une démarche transversale : je lui propose de la commencer maintenant, en vous rappelant l’intérêt, pour nous, d’une réflexion qui puisse se nourrir de l’expérience philosophique du XVIIe siècle et qui puisse l’éclairer en retour.
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André SCRIMA : Voilà une obligation de plus à être plus bref, ce qui ne m’arrive pas, hélas, toutes les fois que je trouve une compagnie stimulante. J’ai en effet communiqué à notre ami Vlad, qui me suit et m’aiguillonne, le titre de mon intervention de ce soir, La Phénoménologie du miracle, qui peut paraître un peu insolite. Je dois dire que, dans mon opinion, ce titre n’est ni présomptueux, ni inconvenant. Il n’est pas présomptueux, parce qu’il se propose de respecter rigoureusement la phénoménologie, déjà établie, confirmée, inévitablement reprise dans les démarches philosophiques et culturelles, ce que l’on appelle la méthodologie de la phénoménologie, telle que nous l’ont laissée nos grands maîtres allemands, als strenge Wissenschaft, qui sont très stricts.
La phénoménologie est en effet la préhension immédiate de ce qui apparaît, ta phainomena ; aussi n’est-elle ni prétentieuse, ni présomptueuse, mais purement et simplement, je crois, adéquate et peutêtre efficace pour notre discours et notre recherche. Elle n’est pas non plus inconvenante, parce que le miracle lui-meme, tel que je l’approche maintenant, nous demande de le considerer en tant que phainomenon, comme quelque chose qui apparait ; et je dirais, il apparait doublement, comme phenomene et, pretend-il, ou propose-t-il, comme meta-phenomene. Autrement il ne serait pas miracle. Voila pourquoi j’ai choisi cette phenomenologie. Ceci comme preambule.
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Mon point un serait une demarche qui pourrait paraitre elle aussi inattendue et que j’ai appelee l’archeologie du miracle, d’apres l’expression de Foucault, deja consacree, l’archeologie du savoir : il s’agit de creuser dans le mot la stratigraphie du sens qui s’y trouve deposee. Apres des recherches tres serieuses dans le dictionnaire etymologique indo-europeen de Pokorny- Walde, qui demeure toujours le grand, Indogermanisches etymologisches Worterbuch, j’y ai trouve quelque chose de tres interessant: Dans notre tradition indo-europeenne, le miracle vient soit par le filon grec, *dh.-w-ma, d’ou thaumaturge, soit par le filon latin, miraculum, avec le radical mira-, ou bien – ce qui concerne dans une certaine mesure l’espace roumain – par le filon slavon, c’est interessant, ciudnii. On trouve dans les vieux textes slavo-roumains la denomination d’un saint, un grand saint, populaire, tel que Saint Nicolas – il m’est arrive jadis de retrouver moi-meme dans les vieux calendriers roumains que l’on me presentait dans les bibliotheques de monasteres – Saint Nicolas le Ciudodvorets, ce qui signifie wonder-worker, en anglais, le faiseur de bizarreries.2 Dh.uma et miraculum sont plus precis. Miraculum a comme noyau semantique mira, mirari, qui a donne le roumain uimire (etonnement), mais au debut ce n’etait que le roumain vedenie (fr. vision),3 ce qui apparait a la vue. On utilise mira dans plusieurs mots. Si dans dh.uma, c’est la meme chose, ce qui est vu, dans le mot ciudnii, c’est l’etonnement qui l’emporte et celui qui devient le medium, pour ainsi dire, de cette operation, c’est quelqu’un qui est un vehicule de l’inattendu.
Qu’en resulte-t-il ? Premierement, le miracle contient quelque chose d’insolite, d’inattendu, en contraste avec une norme que nous n’avons pas a definir, parce qu’elle est multiple et variable dans l’espace, avec le temps, selon les cultures. En deuxieme lieu, il y a un sens que l’on pourrait nommer psycho-sociologique : il y a miracle seulement parce que l’on enregistre a l’interieur d’une communaute, d’une collectivite, cette exception, transgression, bizarrerie, quelle que soit l’appellation que vous lui donniez. Ce sont les deux grandes composantes de la prehension, disons, universelle, de la notion de miracle. Voila donc le resultat de l’archeologie semantique.
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Phenomenologiquement parlant, vous ne pouvez pas, me semble-t-il, ne pas traverser ces etapes, pour progresser vers le sens, vers une intelligence toujours plus exhaustive ou comprehensive. Ce qu’il faut egalement voir, c’est le fait que l’apparition de – je l’ai personnellement aussi vecu dans une certaine mesure, mais ce n’est pas subjectif – de l’insolite, de l’etrange, du transgressant postule implicitement ou explicitement une sorte de distinction allant jusqu’a la scission entre les ordres de la structure mondaine. Car, si j’ai une norme, cela signifie que j’ai une structure, un ordre des choses, qui est bien connu, etabli, vecu, respecte – gare a celui qui, juridiquement ou moralement, le transgresse ! Mais si c’est l’etrange, l’etonnant, l’inattendu, l’insolite qui intervient, cela signifie qu’il a un parti-pris, une relation, causale ou signifiante, a un autre ordre que celui ou je me trouve. Aussi puis-je me referer a cela comme a un miracle et me mettre a en attendre eventuellement quelque chose ou bien a crier. Meme si je suis le seul a l’avoir vu, je dois quand meme aller jusqu’au village ou bien, n’est-ce pas, dans la piece d’a cote, ou se trouvent mes compagnons de condition humaine, et leur dire : o, merveille, etrangete, miracle, j’ai vu, j’ai vu quelque chose…
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Il y a deux éléments que je souhaiterais convoquer ici, peut-être un peu marginaux, mais culturellement ils me semblent très dignes d’être relevés. D’abord, le fait que nous avons eu une immense période, qui est derrière nous, mais qui nous pénètre aussi et nous entoure, elle n’est pas absente, quoiqu’elle soit historique, appelons-la période – ah ! le mot est stupide – païenne, période des religions anté-chrétiennes, ou alors des religions primordiales, si vous me le permettez, plutôt que pré-chrétiennes, des religions originelles, du commencement, on pourrait les nommer même polythéistes, où à cet ordre la divinité était infuse et diffuse. On la reconnaissait pour telle, mais la distinction, la brisure, la séparation – c’est très important à retenir – n’étaient pas consommées, au contraire, il y avait une sorte d’exigence, explicite ou implicite, que j’attende dans le buisson de lauriers, près de la source, que le dieu Pan apparaisse ; que dans le petit bois d’à côté je rencontre Diane la Chasseresse, et gare à moi ce qui peut arriver, n’est-ce pas, si je la rencontre ! Et tout cela n’était pas, comme nous dirions aujourd’hui, des superstitions ; c’était une structure esthétique et je dirais même éthique, c’était un ethos. Je n’insiste pas, mais je vous prie de me croire que ce que je dis est assez fondé et que, par conséquent, à cette époque je n’aurais pas pu parler, comme nous le faisons aujourd’hui, à cet instant même, de miracle, comme d’une sorte d’exception absolue. La divinité était diffuse et pouvait intervenir et même, de quelque façon, je l’attendais et la nommais avec beaucoup de facilité. Elle appartenait à l’ordre à la fois naturel et méta-naturel. Ils étaient mêlés, ils étaient, je répète, infus. Et, je me souviens, j’espère ne pas vous choquer, jadis j’ai vu, d’ailleurs j’en ai fait la connaissance, en Italie, il y avait un cinéaste, son nom vous dirait-il encore quelque chose, Pasolini ? Excusez-moi, je viens d’autres mondes et je fais toujours des gaffes quand je demande : avez-vous entendu parler de Ceau.escu ? Et comment donc… ! Pasolini avait donc fait un film – c’était un personnage à la limite et même souvent au-delà – dont le titre était Médée. Jason, le héros, est tout d’abord présenté, je pense, de façon très juste et adéquate, comme un petit garçon, tel que l’imaginaire antique nous l’a légué, d’environ huit ou neuf ans, que l’on avait confié au centaure Chiron, pour que celui-ci se charge de son éducation. On le voit joufflu, tout blond, comme l’étaient les Doriens, sur le dos du centaure, oui, un dos fait de feutre. L’acteur, on le voyait en entier, il avait la belle barbe des Grecs, il explique au petit garçon : regarde – ils étaient dans l’un de ces bois sacrés des bois frémissant de sacré – tu vois, ici il y avait autrefois Vénus, là est passé le dieu Pan, là est descendu une fois le dieu Mars lui-même, tu vois, tout est plein de dieux. La scène suivante, après quelques intermezzos, nous les montre de nouveau tous les deux : l’enfant joufflu était devenu un adolescent, de dix-sept à dix-huit ans, au visage plus sombre, plus inquiet, on sentait l’approche des angoisses, alors que le centaure en question portait une espèce de chemise, une veste, il était rasé à l’américaine, comme disent les Français, eh bien il disait : regarde, tu vois, ici il y a de la végétation, là c’est un système aquatique, quelque chose de ce genre, les dieux n’existent pas !
Je disais au début, c’est dans cette scission, nous la retrouvons maintenant, dans cette déhiscence, rupture, fracture, qu’advient le phénomène qui nous réunit ici maintenant, au sens où le réel, et surtout la représentation de ce réel, se séparent, se décantent. Les dieux avec leurs arbres, leurs buissons, leurs légendes, leurs mythes, leurs sources – comme il y en avait encore aussi en Roumanie, j’ai moi-même entendu dire à la campagne, en Moldavie, qu’à la tombée de la nuit les méchantes fées se donnaient rendez-vous autour de telle source – sont restitués à la nature : rattachés au naturel. Le divin en est résorbé et restitué – ou bien il nous est restitué – comme un apex, comme une culmination, par ce qu’est pour nous la tradition chrétienne, la grande révélation chrétienne, car Dieu, nul ne l’a jamais vu, et malgré cela Il s’est fait homme, le divin est incompatible avec le naturel si ce n’est par son acte.
Naturellement, là je ne peux plus dire comme les Grecs, comme le premier centaure de Pasolini, que tout est plein de dieux. Je ne peux plus le dire, je dis tout le contraire, et historiquement c’est bien cela qui s’est passé. Les premiers chrétiens, nous le savons très bien – ils ne sont pas à recommander, ni même à excuser, mais à expliquer, si – détruisaient des sources, abattaient les arbres des druides, les pauvres druides qui étaient de grands personnages ce qu’ils ont pu pâtir ! Ce qu’ils ont du souffrir quand on détruisait leurs menhirs extraordinaires ! Si l’on voit des menhirs, jusqu’à aujourd’hui même, il n’y a rien à faire, cela vous coupe le souffle et vous conduit en arrière vers des commencements inaccessibles. J’en ai vu en France, à côté d’un grand monastère de Bénédictins où j’ai demeuré quelque temps, La Pierre qui Vire il s’appelle, à cause d’un grand menhir. On disait que chaque fois que Saint Benoît se faisait un signe, cette pierre tournait. Et c’est resté jusqu’à aujourd’hui : La Pierre qui Vire. Cela je ne l’ai pas vu, mais point n’en était besoin.
Nous avons donc vu la première nuance qui introduisait une distinction dans la considération linéaire du miracle. C’était ce moment, qui est encore présent quelque part, que nous appelions l’archaïque, le rural, où le divin était infus et diffus dans le naturel. Cette longue période de séparation, ou plutôt de décantation, a été nécessaire, nous l’avons appelée culturelle au sens large, religieuse, si vous voulez, et également philosophique pour finir ; elle a détaché le divin du naturel et a laissé le naturel à d’autres modes d’approche, à savoir d’abord la philosophie, puis la science. Ce fut la première période qui, au-delà de ces moments de conflit, au contact de la nouvelle religion qui venait précisément séparer, briser, ce qui était douloureux et continue au fond de l’être, a mené très vite, comme je disais, à la constitution de disciplines et approches nouvelles, que nous avons premièrement appelés philosophie : encore était-elle, aussi, pré-chrétienne. Si nous lisons le Cratyle de Platon, bien qu’on ne doive pas le mettre entre toutes les mains – il est moral, mais il est encore plus dangereux, lui-même le dit – on voit qu’il est dédié à Héraclite, car cet homme était en passe de saborder la possibilité de la philosophie, et il avait grandement raison, celui qui l’a vu de nouveau a été Nietzsche, qui se demandait comment on peut surprendre le réel dans le concept ? Et bien là, c’est précisément une métamorphose de cette période du début où l’existentiel était primordial. Tous ces éléments ont leur importance et leur rôle dans une phénoménologie du miracle. On en est donc arrivé à la constitution de nouvelles disciplines, qui sont discriminatoires, pas dans le sens négatif, éthique, comme le racisme le serait, mais au sens conceptuel, productif et fécond : là où je peux discerner, là je peux opérer. Si tout ne serait que dieu et nature, je serais bloqué.
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Le second exemple, d’un caractère un peu plus personnel – je m’excuse si je deviens ainsi indiscret – c’est celui qui personnellement m’a été fourni par la tradition, la structure exceptionnelle, puissante, étendue, de l’Inde. J’ai vécu en Inde quelques années et avant de m’y rendre j’avais déjà beaucoup étudié. Et quand, après avoir été imprégné, normalement, culturellement j’entends, par le milieu européen, chrétien, du fait que le miracle était un acte exceptionnel, qu’il fallait se méfier d’y croire trop facilement… Le chrétien est en fait élevé dans un scepticisme…
J’étais très jeune, dans les années ’50, il y a eu en Roumanie quelques troubles, il y avait un monastère, je n’y ai jamais été, j’ai en revanche connu quelques gens qui m’en ont parlé ; cet endroit s’appelait Vladimire.ti, je ne sais pas si vous en avez entendu parler, c’était un monastère de religieuses, où, tout d’un coup il se faisait plus de miracles qu’au cimetière Saint-Médard. „Par décret du roi il est interdit à Dieu de faire des miracles en ce lieu.”4 Il s’y faisait des miracles, jusqu’à ce que, naturellement, la Securitate fût intervenue. Elle se frottait les mains, la Securitate, peut-être y avait-elle aussi un peu contribué. Les pauvres gens y venaient de loin, des confins de la Roumanie, ayant essuyé des expropriations, des arrestations et tant d’autres, ils y allaient en apportant et projetant avec eux, implicitement, pas délibérément, toute cette matière psychique, qui était faite d’inquiétude, de perplexité, et l’y retrouvaient sous la forme de ces pseudo-miracles.
Alors, disais-je, quelqu’un qui était élevé dans cette tradition judéo-chrétienne conformément à laquelle le miracle ne court pas toutes les rues et on doit même se méfier de le considérer comme tel, j’avais commencé à étudier autant qu’il était possible, et il était possible, la philosophie indienne, le sanskrit. Et je tombe, pas pour la première fois, aussi n’ai-je pas été trop étonné, sur le Yoga-sutra de Patañjali, où il est dit, brutalement : « La concentration, dh.ran., est le fait de fixer la pensee sur un point. Le recueillement est l’affinement de la concentration sur un seul point.» Et puis, « quand ce recueillement interieur en est arrive a devenir un etat en soi, cela s’appelle contemplation. »5 « Quand tous ces trois sont reunis, » cela s’appelle Samyama,6 « la on peut voir les pensees cachees . il est ecrit noir sur blanc . des autres. »7 « A ce moment-la, se concentrant sur la forme de son corps, de sorte que l’.il qui la regarde et la lumiere qu’elle reflechit ne soient plus en interaction, le yogi devient invisible. »8 Veux-tu devenir invisible, pour aller dans tel endroit ou dans un tel autre, sans etre vu de personne, alors tu fais cela. Puis, « par la maitrise complete du vi.uddha-cakra, » un centre subtil au fond de la gorge, n’est-ce pas, « le yogi est delivre de la sensation de faim et de soif. »9 Ensuite, par une autre operation de focalisation, de fixation, sur un autre centre, le Sahasr.ra-cakra, le plus important, au sommet de la tete, la ou se trouve la fontanelle, « tu peux entrer dans le corps de l’autre. »10 Eh bien, quand vous lisez tout cela, excusezmoi, je vais parler vulgairement, l’eau vous vient a la bouche, n’est-ce pas ? Et l’on se dit, les miracles s’ils ne sont pas possibles tels quels dans notre culture, je les vois en revanche ici.
Il m’est arrive d’aller en Inde, d’y sejourner trois annees, c’etait a une epoque ou l’Inde n’etait pas aussi accablee de la modernite. Benares, ou j’ai habite, le grand Benares, en ’57, ’58, ’59, etait un delice. Il n’y avait pas de charters de touristes, mais il y avait une universite, Vishvavidyalaya, l’Universite Sanskrite de Benares.11 Peu a peu j’ai decouvert des gens qui auraient pu me raconter, et je m’y attendais un peu. Toutes proportions gardees, c’etait comme si un bon moine des montagnes du Neam., en Moldavie, vous avait dit, oui, mon vieux, bien sur que c’est possible, mais maintenant ce n’est plus tellement possible, parce que les temps ont change. Peut-etre si tu allais dans l’Himalaya.
Il m’est arrive de connaitre de tres pres, et c’est quelqu’un que j’evoque avec de l’emotion et du respect, le Dalai-Lama actuel, le XIVe et dernier, selon la grande prophetie du XVe siecle, ou il etait dit qu’il y aurait quatorze dalai-lamas et qu’il n’y aurait plus un quinzieme. Or le Dalai-Lama, quand on lui parle de ces choses-la, il dit, oui, c’est quelque chose qui tient au principe en soi, qui s’affirme. Mais la realisation du principe, c’est autre chose. On peut aller jusqu’a dire que cela arrive ou n’arrive pas a quelqu’un effectivement, cela n’a plus d’importance. Nous, cela nous decevrait, car nous sommes avides. Comme il serait agreable de se rendre invisible tout en voyant tous les autres. S’infiltrer au Comite Central,12 s’insinuer au palais Victoria,13 ailleurs. Eh bien, non !
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Un point nouveau maintenant : voila accomplie cette distribution de modes, de formes culturelles et intellectuelles, d’approches. A la charniere du christianisme et du monde pre-chretien, quelques structures intellectuelles et philosophiques avaient pris forme, elles se perpetuerent. Elles furent tres presentes surtout au XVIIe siecle, chez les auteurs precisement dont ce groupe s’occupe de facon aussi devouee et fertile, tels que Newton, More, Boyle, Francis Bacon, Descartes. Leur grand combat contre l’atheisme, ainsi que leur determination absolue a ne pas nier les miracles, vous connaissez mieux que moi comment les Anglais de Cambridge reprochaient a Descartes de rendre les miracles impossibles a Dieu, ce qui n’etait pas tout a fait le cas. Notre amie Dana Jalobeanu a deja parle de cela et je crois qu’elle pourrait y revenir pour dire des choses interessantes. Voyons ce qui s’est passe, c’est l’atomisme qui etait apparu, faisant une premiere jonction entre, disons, la philosophie proprement dite, la physique, du nom qu’on allait lui donner plus tard, ou philosophie naturelle, car c’etait de la nature, de la physis qu’elle traitait, et l’un d’eux s’est référé également au divin,14 je ne dis pas Dieu, au divin. Je pense au De natura rerum, où il y avait une expression extraordinaire, dii otiosi, les dieux fainéants : non, je ne dis pas que Dieu n’existe pas, mais Dieu, s’il est intervenu, il a mis en branle le monde, et quelque part derrière notre tête, demeure toujours la question : ce Dieu, est-ce qu’il veille toujours sur ce monde ou non ? Le miracle intervient ici avec une connotation ambiguë. Si Dieu veille toujours sur ce monde, il devrait faire un miracle. S’il ne le fait pas, alors, etc.
Au moment où il est apparu, le christianisme a posé tout autrement le problème. Je ne peux pas dire qu’il l’a rendu plus facile pour les gens faciles. Mais, heureusement, il l’a rendu plus grave pour les gens graves, venant de la façon où il est venu et agissant comme je l’ai dit. Dii otiosi. Or, au XVIIe siècle, il y avait deux phénomènes : il y avait le passage à la terminale, vers le terme, de la tradition médiévale, aristotélicienne, thomiste, appelez-la comme vous voulez : vous savez sans doute combien Descartes avait été influencé par Cette espèce de scolastique, je ne dis pas décadente, mais presque décadente. Je me permets de répéter ici, la distinction très importante, que j’avais faite, du théologique et du théologal. Le théologal est ce qui se réfère à la réalité vécue, partagée, participée, du divin. Le théologique est un système conceptuel de connaissance et de communication. Or, on en arrive à ce que le théologique se substitue au théologal et même à un moment donné on en arrive à des conflits. Déjà, entre le mystique et le philosophique, par exemple, il y a une incommunicabilité spontanée. Le langage mystique est un langage qui doit être interprété. Si on le prend comme tel, c’est un non-sens pour le philosophe, mais pas pour tout philosophe, n’est-ce pas ? Un vrai philosophe, un philosophe qui a le sens de son métier devrait être préparé à tout et à son contraire. C’est par exemple le cas du distique de Angelus Silesius,15 cité ici-même la dernière fois et l’interprétation qu’en donnait Heidegger,16 qui en acceptait et voyait toutes les profondeurs. C’est là que Heidegger commence à dire : c’est un nouveau commencement, car le premier commencement est celui de la tradition philosophique dont nous sommes en train de parler. Le second commencement, dit-il, qui ne nous conduira pas à l’être, Dasein, mais à l’être avec ey, au Seyn de Eckhart, c’est celui que les poètes surtout nous communiquent, ce “dichterisch wohnet der Mensch…”17
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Nous en étions restés à la difficulté, qui est une difficulté féconde, heureuse, je dirais, de distinguer, de commencer à décanter, et d’ailleurs ce n’est pas à moi d’apprécier, car cette chose s’est passée historiquement, culturellement, spirituellement, et si nous la considérons phénoménologiquement, comme nous le faisons maintenant… [Lacune de l’enregistrement due au changement de cassette audio] …le divin, et ici je parle phénoménologiquement, je ne fais pas d’apologétique, je ne fais pas d’exégèse, mais j’exprime un état de fait. Il faut voir, à la fois, les Écritures et la Tradition. Or, le monothéisme se propose, dans cette perspective, je ne dis pas se définit, il se propose lui-même en tant que sujet et objet du miracle: Là, il convient de rappeler la distinction de l’aspect communiqué et de l’aspect intérieur, si j’exagérais un peu je dirais entre exotérique et ésotérique (…). Dans la tradition monothéiste, Dieu se présente Lui-même comme « Mon Père travaille jusqu’à présent et je travaille moi aussi. »18 Il n’est pas question et il n’y a pas de place pour les dii otiosi, pour un Dieu fainéant. Au contraire, c’est un Dieu qui vous aiguillonne, vous aimez un Dieu qui paie de sa personne. Je ne dis pas cela pour nous donner une attitude piétiste, Dieu m’en préserve ! C’est à prendre ou à laisser ! Pascal dirait qu’Il paie non seulement de sa personne, mais aussi de son angoisse… Et même de son agonie… « Le Christ sera en agonie jusqu’à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps. »19 C’est très beau. Pour en revenir, phénoménologiquement, nous devons nous référer à ce que nous appelions tout à l’heure la structure de communication du monothéisme, qui est la thétique, le mot vient de poser, la problématique et le sens du miracle jusqu’aux sources en question, et il y aurait le Nouveau Testament, où nous avons des choses intéressantes du point de vue phénoménologique, le fait que le miracle vous soit présenté d’emblée, nous comprenons cela (…) non comme une chose dont vous ayez absolument besoin, ou que Dieu soit prêt à vous donner. Il est très réticent, Dieu : « cette engeance, indigne, exige un miracle, exige un signe, qui ne lui sera pas donné »20 ; de sorte que, on l’a déjà dit, c’est une paraphrase du Nouveau Testament, le miracle est le signe de l’humilité de Dieu ; ceux qui ont commenté cela, en grec, disaient synkatábasis, condescendance. Comme il vous manque à vous, encore, la capacité qui vous vient de la clarification de l’esprit, par la foi, de comprendre et de voir, Dieu accepte, il vous fait cette faveur, synkatábasis. Anábasis signifie ascension, synkatábasis, condescendance, Dieu descend dans le miracle. Voilà donc que dans ce contexte, le miracle n’est plus quelque chose que moi je demande avec insistance ou dont je m’exalte, mais au contraire, je devrais être moi-même beaucoup plus discret, plus humble. J’introduis de façon un peu abrupte, une phrase, très belle, c’est du dernier Heidegger. Eh bien, Heidegger disait quelque part : « je suis venu trop tard pour les dieux, et trop tôt pour le Seyn. » Mais ce Seyn, je l’ai déjà mentionné, Seyn que nous écrivons avec y et qu’il a pris chez Maître Eckhart, chez le grand mystique, non pas le Sein qui, je l’ai dit aussi, la critique, la désaffection, le démontage de l’ontothéologie, comme il disait. La théologie chrétienne en dernière instance est une sorte de paraphrase parfaite de l’être grec, de l’ontique. Je prends l’ontos, l’être naturel, et je l’exalte et je dis : voilà Dieu. Ce n’est pas le premier à avoir dit une chose pareille, mais dans ce schéma terminologique, c’est lui qui l’a dit et cela est extraordinaire. Et c’est pour cela qu’il disait : « je suis venu trop tard pour les dieux.. » Nous ne pouvons plus dire, c’est normal, comme nous disions avec Pasolini et son centaure barbu, ou même rasé, « tout est plein de dieux. » « Mais je suis venu trop tôt pour le Seyn, » qui est en fait la vénération du Dieu vivant, du Tréfonds, ou de la Surdivinité, comme dirait la tradition chrétienne, et particulièrement Pascal dans le Mémorial.
Considérons les miracles, phénoménologiquement, tels que les présente le contexte, appelons-le, christique, ou plus ancien, l’Islam aussi dit la même chose, et une grande partie de la tradition judaïque. Le miracle emprunte lui-même quelque chose à cette condition d’humilité de la divinité, puisque c’est un phénomène tangible, et quand je dis tangible, je dis visible, mais alors insuffisant à soi. Il est le vecteur d’une intentionnalité qui mène au-delà de lui. Si je m’arrête au miracle, je l’ai perdu. Je n’ai rien compris et je projette, comme je faisais pour le monastère de Vladimire.ti, tout en étant de bonne foi. Il se confond alors avec un tour de passe-passe ou alors avec une attente confuse, ou avec une souffrance, ou avec tout ce que vous voudrez, mais pour l’avoir, il faut que je passe au-delà, parce qu’il est doté d’une intentionnalité. Paradoxalement, le miracle, qui commence, phénoménologiquement, dès les temps immémoriaux, comme une irruption insolite, visible comme telle, reçue comme telle ; eh bien, dans ce contexte, qui est un contexte d’étonnement, il a pour finalité et lieu d’accomplissement l’intérieur, l’intériorité, et non ce que je vois. S’il me transforme, si moi je l’incorpore, ou plutôt si je l’intériorise, sans m’arrêter au visible, il me délivre de mon désir même de miracle, ou du désir d’éternité du miracle. Nous avons parlé de la Sainte Épine, la fois passée. Ce miracle au sujet duquel on faisait tellement de bruit, il y avait l’archevêque de Paris qui venait, il y avait le Roi, il y avait les jésuites, bien sûr, il y avait des scandales et des brouilles, etc.; et Pascal finit par écrire sur un bout de parchemin, cette nuit de 1654: « Feu. Feu. Joie. Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob… le Dieu vivant et non le Dieu des philosophes »21 et, chose je dirais très significative déjà en soi, c’est une structure symbolique: il le coud dans toutes les doublures de ses vêtements, jusqu’à la fin de sa vie. Personne n’en était au courant, on l’a découvert après. Je me rappelle avoir lu jadis, quand je lisais (…) du Paul Valéry, intelligent, français, parisien, et qui dit quelque part, à propos de Blaise Pascal : « il arrive aussi de ces cas, où d’aucuns perdent leur temps à coudre dans la doublure de leur vêtement des parchemins avec des phrases mystiques, alors que la France attendait qu’on lui donne la gloire de découvrir le calcul intégral. » « Il se mettait à coudre son parchemin, » vous entendez, dit Paul Valéry, « au lieu de donner à la France la gloire… » Écoutez, écoutez, où en arriveronsnous? Pardonnez-moi, mais je trouve cela d’un comique suprême !
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Je voudrais terminer, d’une façon inattendue. Je voudrais me référer à un passage néo-testamentaire quelque peu oublié, même si culturellement et dans les arts plastiques surtout il a eu toute l’attention : la Tentation au désert. Là encore, phénoménologiquement, je voudrais lire quelques passages, et peut-être même tout le texte. Ce que je dis ne vaut pas seulement pour les chrétiens, mais pour toute la tradition de ce que les musulmans appellent la famille du Livre, Ahl al-Kitab, comprenant par Livre non la Bible, non l’Évangile, non le Coran, tout cela ce ne sont que des formes concrétisées selon des circonstances, exigées, ce sont eux qui le disent, mais l’idée de livre et d’inscription. Et moi, le livre, je ne le lis pas, pareillement au miracle, si je ne passe pas au-delà : ce qu’on appelait au Moyen Age le sens anagogique. En arabe, il y a un très beau terme, ta’wil, l’exégèse montante, ascendante, anagogique. Car, tous l’ont dit, je le répète moi aussi de mes paroles, il y a une structure géométrique – c’est une lecture phénoménologique, je ne fais pas de propagande – il y a une structure géométrique extraordinaire du texte sacré. Tout texte n’est pas sacré, ce que font les pauvres témoins de Jéhova, d’aujourd’hui ou je ne sais plus qui, non, ce n’est pas un texte sacré, c’est un texte psychologique mais non spirituel, non symbolique, non anagogique. Là il s’agit de dégager cette structure, cette cohérence intime. Elle est exceptionnelle.
Avant de commencer la communication, et plus que la communication verbale, [la communication] en acte, Jésus est passé par une épreuve, il a d’abord été baptisé, au sens où il a assumé la référence à l’Esprit ; c’est cela le baptême : la renaissance dans l’esprit ; de même que vous êtes d’abord né dans le corps, des eaux amniotiques, les eaux maternelles, par le baptême vous naissez des eaux de l’esprit. Vous savez sans doute que dans les langues sémitiques, les consonnes passent avant tout, la vocalisation pouvant être différente. En hébreu, Bet-lehem, c’est l’endroit où Jésus est né, et dans Bet-lehem, bet signifie maison, lehem, si je l’écris avec e, signifie pain ; si je le vocalise avec a, laham veut dire chair, corps. « Ceci est Mon corps, prenez, mangez. »22 C’est écrit dedans, je n’invente rien ! Grâce à Dieu, ces choses ne sont pas évidentes ! Il faut les chercher, les découvrir éventuellement, et s’émerveiller si on les découvre. Or, Jésus, après le baptême, est pris et emmené, il y a deux récits : dans le chapitre 4 de Matthieu et dans le chapitre 4 de Luc. Ils sont presque identiques, sauf une petite interversion dans l’ordre. Permettez-moi de lire : « Alors Jésus fut emmené au désert par l’Esprit, pour être tenté par le diable, » par le diable qui est le principe, il l’appelle même prince de ce monde, au sens où le monde est dégradé et, dans cette dégradation, il se dirige comme principe de satisfaction, de réalisation, de désir, d’accomplissement du désir, plutôt vers le négatif que vers le positif, pour le dire rapidement. « Il jeûna durant quarante jours et quarante nuits, après quoi il eut faim. » C’est très intéressant, si vous êtes dans une disposition spirituelle, vous pouvez jeûner quarante jours, sans avoir faim.
C’est après que vient le cycle, quarante c’est un (…), je vous prie de me croire que ce sont des choses très concrètes. « Et, s’approchant, le tentateur, » il ne dit même pas que c’est le diable, mais le tentateur, le principe du doute, contre l’unité, « lui dit : “Si tu es Fils de Dieu…” » C’était en Lui, mais après tant et tant de choses, humainement parlant, on pouvait se le demander, « “Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains.” » Qu’est-ce ? C’est une tentation par le miracle. Et la pierre, le pain ?
Une fois encore, Lui-même était le pain, mais il avait besoin du pain qu’il n’avait pas, parce qu’il jeûnait dans le désert. Et l’autre lui dit, il est très simple pour toi de faire que la pierre soit du pain et de t’en rassasier. « Mais il répondit : “Il est écrit : Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.” » Il a donc refusé le miracle, c’est tout à fait ce que je viens de dire, au nom d’une intentionnalité transcendante que le miracle évoque. Le pain est parfaitement vrai, mais il y a un principe de vie qu’est le mot, qui peut lui aussi être digéré, qui peut lui aussi être mastiqué,23 assimilé, et c’est en lui que vous pouvez trouver vos ressources énergétiques. Dans la parole et pas seulement dans le pain. Et voilà, Lui-même, là, disant cela, se sauve par la parole, en la citant, c’est une espèce de duel entre le tentateur et Lui-même. Il cite la parole de Dieu, le Deutéronome. « Alors le diable le prend avec lui dans la Ville Sainte, et il le plaça sur le pinacle du Temple et lui dit : “Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit…” » – c’est un duel, encore une fois, une compétition entre eux, pour qu’Il en soit réduit au miracle. « Jette-toi en bas, car il est écrit : “Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre.” » C’est-à-dire, tu as là l’invitation. La première était la tentation par un miracle dans l’ordre physiologique, du physique humain, du physique vital, pain, pierre, ici c’est la deuxième tentation, plus grande, du cosmique. Si tu es protégé par Dieu et susceptible d’être secouru par les anges, il y aura une preuve que tu es le Fils de Dieu. Il refuse l’attestation par le miracle. Ce que je dis est phénoménologique, encore une fois, mais nous comprenons, je crois, quel est le statut du miracle après de telles références. Enfin, « Jésus lui dit : “Il est encore écrit : tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu.” » Il n’en a pas besoin, sous-entendu : s’Il le demandait, il lui serait donné, mais ce serait de sa part un acte bas, trop banal. D’autre part cela le confirmerait. Or, Il refuse la confirmation. La confirmation justement est une communication ad extra ; je me confirme, je me montre, je te montre que je suis le Fils de Dieu, que la parole s’accomplit. Or, Il refuse, Il est intériorité.
« Il est encore écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu. » Enfin, «de nouveau le diable le prend avec lui sur une très haute montagne, lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire. » Ici il y a de nouveau une structure symbolique extraordinaire, qui est universelle, qui est profonde, c’est en réalité le mont cosmique. Vous avez peut-être entendu parler du mont Meru dans la tradition hindoue, qui est et n’est pas dans ce monde, ces choses sont à la limite du visible et de l’invisible, encore une fois je ne dis pas ces choses pour qu’après nous prenions le train ou l’avion à la recherche du mont Meru, c’est à prendre ou à laisser ; mais phénoménologiquement on ne peut pas l’ignorer. Le mont cosmique, c’est l’apex, le sommet de la création matérielle, cosmique. Et de là on pouvait embrasser du regard non seulement ce qu’il y avait là au moment même, les royaumes du monde avec leur gloire, mais l’essentiel, pourrait-on dire, jusqu’au bout du monde. « Et il lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire. Et il lui dit : “Tout cela, je te le donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage.” » Il y a plusieurs choses ici. D’une certaine façon, on le voit, le principe négatif, immanent, a un pouvoir sur le monde, qui est limité à ce monde, je peux te le donner, si tu te prosternes devant moi, c’est un vieux pacte, le pacte avec le diable : « Drum hab’ ich mich der Magie ergeben/ Ob mir, durch Geistes Kraft und Mund/ Nicht manch Geheimniss würde kund… »24 Et en même temps, il lui dit: « si tu me rends hommage. » Au moment même où vous faites une option pour l’immanent, pour l’extériorité, pour le pouvoir, pour la gloire, vous êtes un homme qui perd ou qui renonce ou qui abdique son essence, appelons- la divine, ou sa vocation divine, quel que soit le mot par lequel vous voulez l’appeler. On ne peut pas servir deux maîtres. Il faut choisir. « Alors Jésus lui dit : “Retire-toi, Satan !” ». Vade retro Satanas ! « Retire-toi » est une expression sémitique qui dit : va, tu es vaincu, tu es plus petit que moi, passe ton chemin, laisse-moi en paix, tu es derrière moi, tu ne peux plus me tenter. « Car il est écrit, » de nouveau il se réfugie dans la parole, « “c’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à Lui seul tu rendras un culte.” » C’est l’affirmation fondamentale, qui est, encore une fois, le passage vers le secret, l’ésotérique, l’intérieur et, aussi, vers le fait d’assumer une épreuve bien plus terrible, celle de n’être qu’avec Dieu, tout en étant dans le monde. Cela veut dire que l’on est inquiété presque à chaque moment. « Alors le diable le quitte, » « et il s’éloigna de lui jusqu’à une certaine heure, »25 et cette heure – voilà pourquoi je dis que c’est comme une structure géométrique – avant la crucifixion, il est écrit dans l’Évangile de Jean, le Christ dit : « c’est l’heure du Prince de ce monde, » avant qu’ils viennent l’arrêter, à Gethsémani, « il vient, le Prince de ce monde; sur moi il n’a aucun pouvoir.»26 Non que je sois coupable, mais ce qui arrive maintenant est pour la Révélation. Et ils viennent et l’arrêtent. Et la dernière chose, qui est implicite, est celle que crient les gens, c’est normal, ils en viennent toujours au miracle : « Sauve-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix ! »27 J’ai réfléchi quelquefois, assez souvent, il y a un certain temps, à ce qui serait arrivé s’il était descendu de la croix. Tous seraient tombés : miracle, miracle ! Ils seraient tombés la face contre terre, ils auraient couru : « Ça y est, il est venu » ; ils seraient allés dans leurs familles : « Femme, sais-tu ce qui s’est passé ? Fils, sais-tu ce qui s’est passé ? » Puis, le soir serait tombé. Ils auraient réfléchi : « attendez… est-ce que j’ai bien vu, ou bien était-ce un peu…, Ha ! Ha ! J’ai eu raison, c’était un sorcier ! » Le miracle est bien arrivé parce qu’Il est mort, Il a été enterré, Il est passé au-delà de la mort, et le miracle a pu être intériorisé. Le miracle est une réalité, mais c’est une réalité qui a sa propre structure.
DISCUSSION
Vlad ALEXANDRESCU : Je pense que notre rencontre de ce soir a pris un caractère un peu différent de ce que j’attendais, car votre phénoménologie est très compréhensive et rejoint d’une certaine façon des aspects historiques que nous nous sommes proposés au début de notre activité commune.
Pour en venir aux questions, je me rappelle un texte d’Heidegger ou celui-ci fait état d’une affirmation d’Héraclite, qui une fois, quand on le cherchait, aurait dit : « venez ici, car ici aussi il y a des dieux, » en indiquant vers la cheminée.28 Il y a évidemment plusieurs paliers d’interprétation ; Heidegger en suggère lui-même un, à savoir le fait que dans le caractère domestique de la vie quotidienne, la capacité de discriminer et de distinguer peut elle-même créer l’événement. L’attente, après tout, peut se dérouler n’importe où, dans le cadre le plus banal. C’est une façon très peu spectaculaire d’indiquer vers le miracle que ce mot d’Héraclite, l’abstraction presque pure. C’est un vide de signes, un manque de signes presque total, où il avait l’air de voir des signes, des apparences, de l’étrange, des présences. Je serais intéressé de savoir comment on pourrait nouer cette réponse d’Héraclite dans un horizon chrétien.
A.S. : Actuel, disons.
Sorin COSTREIE : Ce que je comprends moi, Vlad, à ton exemple, c’est que le miracle n’est pas tant dans le monde que dans nous-mêmes ; je peux avoir la joie plénière de l’enchantement et du désenchantement du monde, en regardant un insecte ou alors passer avec indifférence à côté de la naissance du Christ, si je n’ai pas ce cadre de réceptivité, d’absorption du miracle.
A.S. : C’est une question de sensibilité. C’est Jésus qui le dit dans le Saint Évangile. Il n’a pu faire aucun signe dans ce pays-là, parce qu’ils étaient tous insensibles, c’est écrit dans l’Évangile. Ce que l’on vous ouvre ici d’emblée, c’est à la fois une intensité et une qualité de la sensibilité. Voilà pourquoi Héraclite aurait seulement pu dire à ce moment-là : moi je sens, moi je viens et vous dis, je prends cette responsabilité qu’ici aussi il y a des dieux. Il y en a parce que moi je le sens et vous le dis.
Teodora STANCIU : L’apparition du miracle se produit, je crois, au passage des visibilia. Le cosmos grec s’étale lui-même, c’est l’œil qui agit, il y a du visible. Mais, de ce côté-ci, dans la perspective vétéro-testamentaire, nous avons affaire à un Dieu invisible. Nous sommes déjà dans la perspective de l’intériorisation de l’univers jusqu’à, naturellement, la perspective néo-testamentaire. Je crois que le premier miracle, dans cette perspective du passage des visibilia aux invisibilia, c’est précisément le fait que Dieu est devenu homme.
A.S. : Jusqu’au bout, pas seulement le fait de devenir homme. En tant qu’homme, Il a fait tout son chemin, jusqu’à la mort, la mort sur la croix, la résurrection, Pascal.
Teodora STANCIU : Notre perspective chrétienne met l’accent sur le miracle, ayant au centre le miracle de Jésus, de l’incarnation, à la différence de la beauté du cosmos entier, telle qu’elle apparaît, disons, chez Platon ; « la beauté a plusieurs visages, » dit Platon dans le Banquet. La divine beauté en elle-même, qui a plusieurs visages.
A.S. : Un chrétien vous dirait qu’il n’y a pas nécessairement une opposition. Tout d’abord, si nous prenons, encore une fois, c’est à prendre ou à laisser, si nous prenons le Christ tel qu’Il nous se donne, tel qu’Il nous se révèle, Lui-même était dans une certaine mesure mêlé et responsable de la beauté du monde dès le début, car il est dit même : « L’Agneau immolé d’avant la création du monde, » quelque part dans l’Apocalypse.29 L’Agneau immolé d’avant la création du monde, il est extraordinaire d’en arriver à dire une chose pareille. Et il se présente Lui-même comme l’Agneau immolé. Ce sacrifice est par lui-même un acte de beauté. Le sacrifice, c’est le don, l’acte ultime, en réalité, et nous, bien sûr, nous l’oublions. Dans cet ordre, et là je crois que le miracle intervient aussi quelque part, il y a le fait que la divinité est celle qui ne garde rien pour soi, qui n’est pas accaparatrice, qui n’est pas possessive, mais qui est oblative, si je peux parler ainsi, en comprenant par oblation le sacrifice. Et, en réalité, que se passe-t-il même historiquement parlant, cette foisci ? D’abord, la façon dont est venue la communauté chrétienne autour du Christ, et après, la constitution du christianisme. Le Moyen Âge, par exemple, a fait que ce misérable cap de l’Asie, dont parlait Paul Valéry, ce petit cap de l’Asie qu’est l’Europe, donnât, durant le Moyen Âge, des cathédrales, des orgues, de la philosophie, de la peinture, des mathématiques – qu’on a empruntées aussi aux Arabes. Or, ce que je veux dire, c’est que, d’une certaine manière, cela a commencé sur la Croix. Que l’on regarde bien quand il est dit : « Et le Christ a expiré son esprit, a donné son esprit. »30 Il l’a donné, non seulement au sens où il est mort, mais il en a fait don, pour qu’il soit dans le monde, cela l’Église le dit doctrinalement.
Or, par exemple, au Moyen Age, l’Église est venue avec la morale, et a dit : treva Dei, vous vous battez trop entre vous et vous tuez des gens, je parle de l’intervention auprès des princes combattants, et elle a imposé la trêve de Dieu. Vous n’aviez pas le droit de faire la guerre, pendant l’Avent, le Carême, et Pâques. Et les gens, par peur, car l’Église était puissante, peu à peu se sont soumis. Plus tard, en revanche, l’Église, en tant qu’institution, a commencé à donner, tout cela fut pris par les gens ; la morale, plus n’est besoin de se référer à l’Église, elle est devenue autonome. Très bien, pourquoi pas ? Bien que, cela ne fait pas aussi longtemps, l’Église voulût encore conserver son autorité et sa domination. Je vous choque, peut-être, parlant de cette manière, mais ce que je dis est parfaitement conforme à la vérité spirituelle. De sorte que l’incarnation ne s’arrête pas au moment que nous lisons dans l’Évangile. Elle continue par l’esprit, si l’esprit est encore vivant. « N’éteignez pas l’esprit, » disait Paul.31 Moi, Église, que dois-je faire ? Je te le donne jusqu’au point où toi, « monde, » appelons-le entre guillemets, homme, qui que tu sois, tu ne me reconnais même plus, et même tu te retournes et me crache dessus.
Vlad ALEXANDRESCU : Ce n’est pas obligatoire !
A.S. : Ce qui est plus grave c’est quand l’Église veut à tout prix garder quelque chose pour elle, sous n’importe quel prétexte. Son fondateur, son Seigneur, s’est donné lui-même jusqu’à la mort, la mort sur la croix.
Teodora STANCIU : Pour que la royaume de Dieu soit au-dedans de vous…
A.S. : Au-dedans de vous et pour que vous, de là, vous donniez à votre tour…
Édition du texte et version française par Vlad ALEXANDRESCU
* Nous avons donné en italiques les mots et expressions utilisés en français. Les points de suspension entre parenthèses marquent des lacunes dans la transcription de l’enregistrement. 1 Une première version de ce texte a paru dans la revue américaine Res, 44, automne 2003, Harvard.
2 En roumain, André Scrima utilise le mot ciudãþenie, qui est un mot d’origine slave signifiant bizarrerie, étrangeté, et qu’il met en rapport avec le mot d’origine latine miracle.
3 En roumain, vedenie signifie aussi fantôme, esprit, impression.
4 André Scrima rappelle un épisode du mouvement janséniste, postérieur à la démolition par Louis XIV en 1711 de l’abbaye de Port-Royal-des-Champs. Après avoir été, dans les années 1690, privé de ses dernières grandes figures, le groupe de Port-Royal avait succombé au complot jésuite et à l’autoritarisme royal. En 1727, après la mort du diacre François de Paris, appelant, entouré de la vénération de la population pauvre de la paroisse de Saint-Médard et de l’estime du parti janséniste, un vrai pèlerinage commença sur sa tombe. Une première guérison spectaculaire y eut lieu le 3 novembre 1730, qui suscita un mouvement populaire. D’autres miracles, réels ou prétendus, suivirent, mais s’associant à de violentes convulsions nerveuses. Vers la fin de l’année 1731, les phénomènes de ce genre se multiplièrent, de sorte que le cimetière Saint-Médard offrait le spectacle de vraies scènes d’hystérie collective. En fin de compte la police intervint et une ordonnance royale du 27 janvier 1732, sous prétexte que l’on essayait de surprendre la crédulité du peuple, prescrivit la fermeture du cimetière. Un plaisant fit le distique que Scrima cite de mémoire : « De par le roi, défense à Dieu/ De faire miracle en ce lieu » (cf. Augustin Gazier, Histoire générale du mouvement janséniste depuis ses origines jusqu’à nos jours, tome I, Paris, Champion, 1923, p. 280).
5 Patanjali, Yoga-s.tra, III, 1-3.
6 Ibidem, III, 4.
7 Ibidem, III, 19.
8 Ibidem, III, 21.
9 Ibidem, III, 31.
10 Ibidem, III, 33.
11 De 1958 a 1974, elle etait connue comme Varanaseya Sanskrit Vishvavidylaya, de nos jours elle s’appelle Sampurnanand Sanskrit Vishvavidylaya.
12 Grand batiment, situe place de la Revolution a Bucarest, qui a servi de longues annees de siege au Comite Central du parti unique de la Roumanie communiste, actuellement siege de la chambre superieure du Parlement de la Roumanie.
13 Batiment, situe place de la Victoire a Bucarest, servant de siege au Gouvernement de la Roumanie.
14 Il convient de comprendre que l’atomisme opérait une jonction de la philosophie et du discours sur le divin.
15 Il s’agit d’un distique du Cherubinischer Wandersmann, (I, 289) : “Die Ros’ ist ohn’ Warum; sie blühet, weil sie blühet, Sie acht’t nicht ihrer selbst, fragt nicht, ob man sie siehet.” « La rose est sans raison et, fleurissant sans cause, N’a garde à sa beauté ni si l’on voit la rose. » (traduction de E. Susini)
16 Martin Heidegger, Der Satz vom Grund, Pfullingen, 1957. Cf. la version française Le Principe de raison, traduction de André Préau, Paris, Gallimard, 1962. Il s’agit du chapitre 5 de cet ouvrage : « La rose est sans pourquoi. »
17 « …poétiquement habite l’homme…,» un fragment d’un poème de Hölderlin, qui est aussi le titre d’une conférence de Heidegger, donnée en 1951, et publiée dans le volume Vorträge und Aufsätze, Pfullingen, 1954. Cf. la version française Essais et conférences, traduction de André Préau, Gallimard, 1958.
18 Jean, 5, 17.
19 Pascal, Pensées, Br. 553, Laf. 919.
20 « Les Pharisiens sortirent et se mirent à discuter avec lui ; ils demandaient de lui un signe venant du ciel, pour le mettre à l’épreuve. Gémissant en son esprit, il dit : “Qu’a cette génération à demander un signe ? En vérité, je vous le dis, il ne sera pas donné de signe à cette génération.” » (Marc, 8, 11-12).
21 Pascal, Mémorial, Laf. 913. André Scrima commet un anachronisme, car la guérison miraculeuse de Marguerite Périer, nièce et filleule de Blaise Pascal, eut lieu le 24 mars 1656, c’est-à-dire un an et demi après la nuit du 23 novembre 1654, où Pascal avait écrit le texte connu sous le nom de Mémorial. Ceci ne fausse cependant pas la restitution de l’attitude de Pascal par rapport au miracles, telle du moins qu’on peut la suppléer au moyen d’une herméneutique des Pensées.
22 Matthieu, 26, 26.
23 André Scrima utilise en roumain un archaïsme, le verbe a dumica, littéralement: transformer en petits morceaux et digérer.
24 Goethe, Faust, I, vers 377 à 379 : « C’est pourquoi je me suis adonné à la magie/ Pour voir, si par la force et la vertu de l’Esprit,/ Maint mystère ne me serait pas révélé… », traduction de Henri Lichtenberger, Paris, Aubier Montaigne, s.d.
25 La version française de l’École biblique de Jérusalem donne tout simplement : « Le diable le quitta. » mais dans Luc, 4, 13, on peut lire « jusqu’au moment favorable. » André Scrima cite d’après l’une des traductions roumaines de la Bible.
26 Jean, 14, 30.
27 Matthieu, 27, 40.
28 Il s’agit d’une anecdote au sujet d’Héraclite, rapportée par Aristote (De partibus animalium, A5, 645a17). La phrase d’invitation d’Héraclite, en montrant le four de boulanger auprès duquel il était assis pour se réchauffer, aurait été, à en croire Aristote : « Ici aussi il y a des dieux. » Le fragment est commenté par Heidegger dans sa Lettre sur l’humanisme. Voir, dans la traduction de Roger Munier, Paris, Aubier Montaigne, 1957, p. 141-145.
29 Apocalypse, 13, 8.
30 L’expression roumaine utilisée par André Scrima, a-.i da duhul, littéralement donner son souffle, son esprit, signifie en roumain mourir, rendre l’âme. En roumain, duh, mot d’origine slave, c’est souffle, âme. Néanmoins, ce que cette expression roumaine a de particulier, par rapport au français, c’est qu’elle ne renvoie pas à l’idée de restitution, rendre l’âme à celui dont elle est issue, mais bien donner, faire don, se déprendre de quelque chose, et situe de ce fait la mort du Christ dans un horizon pneumatologique qui était propre à la théologie que professait le moine orthodoxe roumain. Dans les termes utilisés dans les Évangiles, il y a deux fois ejxpneu`ein (Marc, 15, 37 et Luc, 23, 46), expirer ; ajfivemai (Matthieu, 27, 50), avec l’idée de départ, détachement, libération de l’esprit ; et paradivdomi (Jean, 19, 30), avec cette idée de remettre, donne, confier à quelqu’un que semble bien avoir retenu ici André Scrima.
31 Première Épître aux Thessaloniciens, 5, 19.